La conspiration du silence

La conspiration du silence

Une série documentaire de 8 épisodes et un débat
Disponible en intégralité sur la plateforme france.tv

3 questions/3 réponses aux réalisateurs

 

Entretien avec Vincent Hérissé

 

 

Pourquoi avoir voulu traiter un sujet aussi ancien ?

"Ce n’est pas un sujet ancien mais parfaitement actuel. La disparition de ces jeunes filles de la DDASS à la fin des années 70 a engendré un intérêt proche de 0 et des réactions quasi-inexistantes dans le microcosme bourguignon à l’époque.

La question que l’on peut se poser aujourd’hui est la suivante : est-ce que les conséquences en 2022 seraient similaires ? La réponse est malheureusement : oui, sans doute… Quand on ne prête pas attention et qu’on ne met pas en lumière une certaine catégorie de victimes, cela laisse très clairement la porte ouverte à des personnes qui vont pouvoir agir en toute impunité.

Fourniret arrive dans l’Yonne et commence à sévir en 1987, jusqu’au début des années 2000. On saura 20 ans plus tard que des témoignages n’ont pas été entendus, témoignages qui, si la justice avait fait son travail, auraient pu mener à son arrestation. Le parcours sanglant de Fourniret se serait arrêté bien avant, et des vies auraient été sauvées…"

 

Comment votre regard sur le sujet a-t-il évolué entre le début du tournage et la fin de la réalisation de la première saison ? Quel a été le principal enseignement ?

"Le tournage n’a fait que confirmer ce que je pressentais : l’importance du mépris pour ces jeunes femmes, et l’importance qu’ont eues les petites lâchetés accumulées et partagées par un grand nombre d’interlocuteurs. Il n’y a pas eu de gens qui ont ourdi un complot dans l’ombre à dessein, mais au contraire une multitude de personnes dans la lumière qui ont laissé agir en ne faisant pas leur travail.

Beaucoup ont tout fait pour que rien ne se sache, sous prétexte de leur crainte que toutes ces affaires « salissent le département ». Les élus et les notables ont préféré défendre l’image du département plutôt que celle des filles. Toutes les ITW menées pendant le tournage ont confirmé ce sentiment : il ne fallait pas bousculer les habitudes et les petites mœurs locales…"

 

Comment catégoriser cette collection ? Dans quel genre la classe-t-on ?

"La collection appartient clairement au genre de la série documentaire.

On s’est permis d’aller chaque fois qu’il le fallait sur le domaine de la fiction avec des images d’évocation pour faire exister visuellement les protagonistes. On a surfé sur notre conditionnement – dans les sociétés contemporaines – par l’addiction aux images. On réalise que les jeunes filles sont passées à l’as dans l’imaginaire de l’opinion publique car elles n’ont jamais eu le mérite d’être représentées : il n’y avait pas de photos d’elles, elles étaient donc invisibles et indignes d’exister, in fine…

Il fallait les faire revivre pour que l’on s’attache à elles d’une certaine façon, comme on s’attache normalement à des jeunes filles de 20 ans dans notre entourage."

 

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Entretien avec Thierry Fournet

 

 

En quoi la Conspiration du silence, qui vient couronner plusieurs décennies de recherche, est unique en son genre ?

"J’ai travaillé pendant 25 ans sur ce sujet, et pour moi la Conspiration vient revisiter le domaine du fait de société.

On essayé d’expliquer le pourquoi, de prendre en considération un contexte social, territorial, politique.

Ça dépasse les seuls faits, ça va bien au-delà : il y a eu une véritable omerta car tout le monde a eu peur de traiter le sujet par crainte de l’image que cela renvoyait.

C’est la première fois qu’on passe de l’enquête à ce format : cette collection, c’est beaucoup plus qu’un zoom sur les tueurs en série, c’est une auscultation de la société bourguignonne et de toute une époque.

La première saison, c’est un travail d’un an et demi. Le producteur, Guillaume, s’est énormément investi. La différence des regards, entre les deux réalisateurs et le producteur, a été particulièrement enrichissante. Une co-réalisation, c’est deux manières de faire du journalisme. L’une très objective et l’autre qui est de l’ordre du point de vue. Pour beaucoup de parties prenantes dans l’évolution de cette enquête, on a fini par se ranger du côté des victimes : c’est le choix du documentariste, du réalisateur. Guillaume et Vincent se sont rattachés à notre cause au fil de l’eau.

Les Robins des Bois existent et ont réussi à faire bouger les lignes. On laisse des plumes affectives sur ce genre de sujet, on n’en sort pas indemne.

La Conspiration, ce n’est pas du journalisme d’investigation mais un docu qui étudie avec la loupe de l’entomologiste. C’est un vrai travail de documentariste. Le parti pris de la production a été d’emprunter les codes de la série avec sa modernité, mais il y a un bon équilibre entre le « divertissement » et l’humanisme qui se dégage.

La conspiration du silence, c’est avant tout un devoir de mémoire".

 

Comment votre regard a-t-il évolué pendant le tournage ?

"J’ai appris énormément dans l’organisation des institutions pour handicapés. Il n’y a pas eu de grandes révélations pendant le tournage mais on a constaté qu’encore aujourd’hui il y avait des dysfonctionnements, y compris au Palais de Justice d’Auxerre. A tel point que certains disent qu’une telle affaire pourrait encore voir le jour…

Pourquoi ? Il n'y a pas véritablement eu d’électrochoc localement. Le monde de la Justice est resté très masculin : est-ce que l’histoire de ces jeunes femmes émouvrait plus aujourd’hui… ? Est-ce que le monde des institutions médico-sociales aurait un autre comportement dans le traitement de l’enquête ? Les réactions seraient sans doute les mêmes, en dehors de l'impact probable des réseaux sociaux sur l'opinion publique. Car ces jeunes femmes handicapées, ces enfants de la DDASS ne sont toujours pas représentés, ils n’ont pas d’ambassadeurs dédiés.

Il ne suffit pas d’être un bon juge ou un bon procureur, il faut aussi de l’humanité.

L’affaire E. Louis a changé la loi mais cela ne suffit pas si elle n’est pas appliquée.

Je retiens la richesse des regards partagés et l’engagement professionnel et émotionnel de chacun, il y a eu beaucoup de discussions pendant les tournages".

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ITW de Thierry Fournet par Elsa Bezin