PLUS BELLE LA VIE

Un feuilleton ancré dans son époque

« Plus belle la vie » fête ses 15 ans !

Sébastien Charbit, producteur de Plus belle la vie chez Telfrance Série

Quel est le secret de longévité du feuilleton ?
Sébastien Charbit : Ce secret combine plusieurs paramètres : le renouvellement du traitement des intrigues, la variété des personnages et des sujets. Notre priorité est de rester dans l’air du temps. Certains sujets traités aujourd’hui ne l’auraient pas été il y a quatre ans, comme la GPA, les personnes transgenres, les addictions comportementales. Notre force est de nous mettre régulièrement en danger grâce à nos auteurs, à nos équipes de production, qui acceptent d’aller dans l’inconnu. Par exemple, on s’est lancés dans une intrigue au long cours liée au handicap à travers le personnage de Luna, qui devient paraplégique à la suite d’un accident. Il s’agit d’explorer l’onde de choc d’un tel événement dans sa vie, comment elle va vivre avec, le surmonter. On ignore comment l’histoire va se finir. Ce suspense rend l’intrigue intéressante. Si dès le départ nous connaissions déjà son issue, les téléspectateurs la devineraient aussi. Je pense que c’est une ambition qui a toujours été là, dès la création du feuilleton, avec Hubert Besson, Olivier Szulzynger, Christine Coutin, ou Vincent Meslet également. La continuité, c’est l’objectif de se renouveler.

 


Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’écriture et des arches de la série en quinze ans ?
S. C. : Nous avons changé la manière d’écrire la série. Au départ, dans Plus belle la vie, il y avait l’histoire et les personnages passaient au travers. Aujourd’hui, on a réorganisé l’écriture autour des trajectoires des Mistraliens. On raconte des événements non plus en huit ou dix semaines en une seule arche, mais on les déploie sur un an et demi ou deux ans, à travers plusieurs histoires (des arches A, B, C, etc.). Un récit au long cours pour y développer les différentes étapes d’un destin, tout en conservant l’épine dorsale du personnage. Par exemple, le rôle de Samia, sur dix ans, a considérablement évolué. Cette jeune femme des cités était une hackeuse avant de devenir flic. Après avoir passé huit ans dans un commissariat, son personnage était dans un état « stationnaire ». On a donc décidé de réactiver son épine dorsale en imaginant une arche sur deux ans qui va inciter Samia à se confronter à son parcours de femme autodidacte — elle quitte le commissariat pour se reconvertir en entrepreneuse et lancer une application pour prévenir les agressions sexuelles — et à s’interroger sur sa capacité à se lancer en politique. De la même manière, on explore également le destin transgenre d’un jeune lycéen, l’amour interdit entre une belle-mère et son beau-fils, ou encore la maladie avec Alzheimer. 


Sur quels paramètres le processus d’écriture du feuilleton s’appuie-t-il ?
S. C. : Nos évolutions sont guidées par la modification de l’environnement des séries. Aujourd’hui, les gens en regardent beaucoup, bien plus qu’il y a dix ans. Ils expriment aussi des exigences plus affirmées, tant sur le plan narratif que visuel. Les études « quali » le confirment. Notre objectif est donc de gagner en complexité, non pas rendre les histoires compliquées mais doter les personnages d’un côté touffu, qu’ils deviennent aussi attachants qu’énervants.

L’une des forces de Plus belle la vie est sa capacité de rebond face aux faits de société, à l’actualité…
S. C. : Il y a plusieurs ressorts à cette réactivité. Tout d’abord, l’anticipation de nos auteurs, dont la sensibilité permet d’identifier un climat social et émotionnel. Par exemple, nous avons pressenti l’agitation du milieu scolaire induite par la réforme du bac. Nous avons fait le choix de traiter cette intrigue du côté des élèves. Dans la réalité, ce sont les profs qui ont appelé à la grève de la surveillance du bac. Mais nous avions vu juste. Puis, il y a également notre souci de réalisme, de raconter notre époque, une ambition partagée et portée par France Télévisions. La vaste thématique de la transition écologique est ainsi abordée à travers plusieurs histoires. Ce qui nous permet de proposer des intrigues plus ciblées, illustrant des problèmes de pollution, des scandales sanitaires ou des questions énergétiques. Enfin, le dernier point de cette réactivité, ce sont les petites séquences que l’on écrit et tourne la semaine même de la diffusion. Celles-ci nous permettent d’être en prise avec le public, ses préoccupations, au moment où il les ressent (l’incendie de Notre-Dame de Paris, les attentats…). Cette proximité, qu’elle soit sociale ou émotionnelle, est la plus grande richesse du feuilleton. On s’identifie à des personnages qui n’ont pas de solutions prédéterminées mais essaient de s’en sortir. C’est cela qui nous touche.

 

 

L’arrivée de feuilletons concurrents a-t-elle influencé l’écriture de la série ?
S. C. : L’écriture, pas exactement. Chacun des feuilletons a sa couleur. Dans Plus belle la vie, on oscille entre le rebondissement et le sociétal, et notre promesse est de divertir sur une chaîne du service public. On assume des moments rocambolesques qui s’équilibrent avec des moments plus ancrés dans la réalité. Forcément, certaines thématiques se retrouvent d’un feuilleton à l’autre, car ils demeurent des miroirs de la société française. Les trois vivent dans le même monde, et il y a de la place pour chacun.

Vous êtes arrivé en 2015, de quelle manière avez-vous apporté votre patte à ce feuilleton ?
S. C. : Ce n’est pas mon ambition, je ne suis pas un artiste, mais un producteur. L’idée est plutôt de se mettre au service des forces du feuilleton, que je n’ai pas lancé, et de leur permettre de se déployer. On a renouvelé l’équipe de production, emmené la série vers plus de séquences tournées en extérieur, soigné le découpage visuel, travaillé sur la direction artistique, les costumes, toujours guidés par ce souci de justesse et de proximité avec le public. Nous avons également modifié notre rapport à la musique en utilisant des chansons en anglais, en s’autorisant différents registres (électro, pop, musiques urbaines). Ainsi, on n’a pas réinventé la série, mais on s’est réapproprié ses piliers en les remettant au goût du jour.

Quel est le défi de Plus belle la vie pour les prochaines années ?
S. C. : Notre ambition est de ne pas être prisonnier du passé, sans pour autant le trahir. J’espère que ce que racontera la série dans cinq ans, je ne peux même pas l’imaginer aujourd’hui. Car, si c’est le cas, nous n’aurons pas beaucoup évolué. Je pense que l’une des forces de Plus belle la vie — et qu’on a un peu trop oubliée —, c’est qu’elle est la première série de 26 minutes produite par jour, la première série qui rencontre un succès populaire en traitant quotidiennement de sujets difficiles sur une chaîne publique. Il y a beaucoup de premières dans l’histoire de Plus belle la vie. Je lui souhaite qu’il y en ait encore beaucoup !

 

Propos recueillis par Sylvie Tournier 

Sébastien Charbit © Julien Knaub
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