Split

Notes d'intention

 

Sened Dhab, directeur de la fiction jeunes adultes

On ne présente plus Iris Brey et l’importance de son travail de déconstruction d’une vision patriacale du regard audiovisuel. Lorsqu’elle et Fabienne Servan-Schreiber sont venues nous proposer Split, du fond et son portrait touchant et cru d’une sortie de l’hétérosexualité, à la forme et son équipe artistique majoritairement féminine, il me semblait important d’accompagner cette double aventure de la meilleure manière qu’il soit pour un homme : en m’effaçant. C’est ainsi Cécile Deveaud, conseillère de programmes au sein de l’unité Fictions Jeunes Adultes, qui a suivi au plus près le projet et a permis d’en faire, avec Iris et toute son équipe, la proposition artistique splendide qu’elles nous font aujourd’hui.

 

Fabienne Servan-Schreiber, productrice Cinétévé

J’ai rencontré Iris Brey lors d'une table ronde du journal Causette à laquelle nous participions toutes les deux – féministes de deux générations différentes. Iris parlait brillamment et passionnément de la place des femmes dans les séries et les films, comment elles étaient regardées, racontées, photographiées. M’est venu tout de suite l'idée de lui donner la possibilité de filmer elle-même, forte de son expérience et son point de vue. L’envie de l’accompagner et produire sa première série. C’est ainsi que Split est née... merci à Sened Dhab – un homme ! (sourires) – d’avoir immédiatement adhéré à cette envie. Nous aimons à Cinétévé que nos films et séries participent des évolutions, des richesses et des complexités de notre monde contemporain et s’inscrivent dans le débat public.

Iris Brey, créatrice et réalisatrice

Split est une série sur les ruptures et les reconstructions. Je l’ai conçue à un moment de ma vie où je traversais moi-même de grandes ruptures amoureuses et physiques, à savoir un accouchement et une sortie de l’hétérosexualité.

J’ai eu envie de mettre en scène ces expériences de déchirement qui peuvent être des moments tragiques et joyeux. J’ai aussi voulu montrer comment faire famille autrement, la puissance des amitiés féminines et de la sororité pour se relever, pour apprendre à s’aimer et à aimer.
Comme la polysémie du mot anglais l’indique, Split raconte la séparation, la division, le grand écart mais aussi le partage. Visuellement, j’ai voulu explorer la figure du « split screen », non pas pour montrer deux actions simultanées, mais pour incarner les moments où l’on peut à la fois se sentir déchirée et réparée. Cette ligne noire agit comme une ligne de suture qui recolle deux parties ensemble. Cette ligne noire permet de rendre la cicatrice visible. Cette ligne noire peut aussi agir comme un miroir et dédoubler l’image. Anna, qui est cascadeuse, devient le double de la comédienne le temps d’un tournage. Le corps d’Anna et celui d’Ève se fondent et se confondent pendant le tournage des scènes qui mettent en danger, mais elles retrouvent leur identité dès qu’elles entendent « Coupez ! ». La scission de l’écran entre en résonance avec ce que Anna traverse.

Le split screen a été utilisé pour la première fois dans l’histoire du cinéma par Lois Weber en 1913 dans le film Suspense afin de montrer l’angoisse d’une femme qui se retrouve seule chez elle alors que son mari part et qu’un cambrioleur entre. Le split screen a donc été inventé pour nous faire ressentir ce qu’une héroïne éprouve. J’ai aussi voulu dans Split que nous soyons plongé.e.s dans les expériences et les émotions d’Anna : l’angoisse de quitter l’hétérosexualité, la souffrance lorsqu’on met fin à une histoire d’amour, l’excitation de tomber amoureuse, la joie de découvrir le lesbiannisme. L’écriture du Regard féminin (Éditions de l’Olivier, 2020) m’a permis d’analyser les films et les séries qui nous plaçaient du point de vue de l’héroïne. J’ai mis en avant la puissance cinématographique de ces œuvres qui réinventent des codes visuels du plaisir et du désir féminin et la nécessité d’avoir accès à des œuvres qui valorisent les expériences du féminin.

En passant moi-même à la mise en scène, j’ai travaillé visuellement la forme du « split screen » pour m’approcher du ressenti de l’héroïne de Split, Anna. J’ai aussi voulu rendre visible les expériences que peuvent traverser un corps féminin, comme corps physiologique (les règles, l’avortement), comme corps social (vivre dans une société hétérosexuelle et patriarcale) et comme « corps collectif » pour reprendre l’expression de Geneviève Fraisse « moins une catégorie ou une addition de corps que des corps qui parlent une seule langue, celle de la dénonciation de l’usage de leur corps sexué par les hommes » (coller des messages féministes dans la rue). Cette série est aussi le lieu de mise en avant d’autres œuvres d’artistes lesbiennes comme le film Thèmes et Variations de Germaine Dulac ou le roman Thérèse et Isabelle de Violette Leduc.

Je voulais aussi faire entendre la voix de l’actrice engagée Delphine Seyrig et célébrer l’actrice Mudisora qui était aussi réalisatrice de films oubliés dont Colette (avec qui elle avait une histoire d’amour) était la scénariste. Dans Split, ce partage d’œuvres permet la naissance de l’histoire d’amour entre Anna et Ève. C’était une manière pour moi de faire apparaître dans cette série les artistes qui ont marqué l’histoire du cinéma et qui se sont battues avant moi pour raconter des histoires d’amour lesbiennes.

Dans une volonté féministe et inclusive, l’équipe technique a été composée majoritairement de femmes (7 cheffes de poste sur 8). Nous avons travaillé avec une coordinatrice d’intimité pour les scènes de sexe et nous nous sommes employées collectivement à rendre le tournage un lieu sans mise en danger afin d’avoir une plus grande liberté de création. J’ai aussi demandé à Rebeka Warrior et Maud Geffray de signer la B.O de Split pour laquelle elles ont gagné le prix de meilleure musique à Séries Mania où Split était présenté en compétition française en 2023.

ITW Iris Brey