Interview de Chiara Mastroianni

Maîtresse de cérémonie

Vous avez été à moult reprises au Festival de Cannes. Quelle a été votre première impression ?

La première fois que je suis allée au Festival de Cannes, c’était pour mon premier film, Ma saison préférée, d’André Téchiné. Nous étions en compétition officielle, j’avais 20 ans et j’étais très impressionnée. J’ai eu la chance d’y retourner de nombreuses fois en compétition, et aussi dans d’autres sélections, comme Un certain regard par exemple (où elle a reçu le Prix d’interprétation pour Chambre 212 dans la sélection en 2019, ndlr), et c’est toujours pour moi le même émerveillement, le même trac.

 

Dans les années 1990, vous y êtes retournée très souvent…

Je crois que j’y suis allée quasiment chaque année. Pour N’oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois (Prix du jury en 1996, ndlr), pour Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) d’Arnaud Desplechin, que j’ai retrouvé plus tard pour Un conte de Noël, qui a été lui aussi présenté dans la sélection officielle. En 1996, je montais les marches avec mon père pour Trois vies, une seule mort de Raoul Ruiz. C’était spécial d’être avec lui et d’être ensemble à Cannes.

 

En 1998, vous êtes membre du jury…

Dans le jury présidé par Martin Scorsese ! Ce fut une expérience incroyable de vivre dix jours de cinéma intense avec un jury passionnant. J’étais très jeune, j’avais 26 ans et je m’inquiétais de savoir quoi dire après toutes ces personnalités majeures du cinéma, et surtout après lui. Mais cet homme extrêmement cinéphile nous invitait à participer à part égale au débat, en écoutant chacun, et donc même moi, avec le peu d’expérience que j’avais. Lorsque l’on est membre du jury, on découvre une facette du Festival que les gens qui y participent n’imaginent pas. C’était formateur pour moi en tant qu’actrice, qui avait été dans des films sélectionnés à Cannes, de découvrir l’envers du décor et le formidable travail qu’est celui du jury, qui doit décerner finalement peu de prix au regard du nombre de films sélectionnés.

 

Et, en 2019, vous recevez le prix d’interprétation dans la sélection Un certain regard pour Chambre 212 de Christophe Honoré…

Je ne m’y attendais pas du tout. Je n’avais jamais reçu de prix d’interprétation. J’étais extrêmement émue et surprise. J’avoue que ça m’a fait énormément de bien de recevoir cette récompense.

 

Parce que vous aviez un sentiment d’illégitimité, comme vous l’avez déclaré dans certaines interviews ?

Oui, c’est assez courant chez les acteurs. Pour autant, le prix ne m’a pas totalement guérie ! Mais il m’a fait plaisir aussi parce que je l’ai eu pour ce film-là, que j’ai adoré faire, et parce que j’adore Christophe. À travers lui, c’était toute l’équipe et le film qui étaient récompensés. On sait qu’à Cannes on ne peut pas donner plusieurs récompenses au même long-métrage. Donc un prix d’interprétation ne va pas seulement à l’acteur mais à tous ceux qui ont contribué à sa réalisation.

« Je suis toujours très admirative de voir comment Thierry Frémaux parvient, chaque année, à proposer une sélection de longs-métrages tout à fait éclectique et où, parfois, surgit un premier film qui éblouit tout le monde. C’est aussi ça ce festival, un tremplin qui peut tout faire basculer. Le Festival est une promesse de sensations vertigineuses, un endroit où existe toujours la possibilité de l’inattendu. »

Enfant, suiviez-vous l’actualité du Festival de Cannes ?

Je suivais le Festival de Cannes, je regardais la montée des marches, la cérémonie de clôture et les émissions qui y étaient consacrées. Le cinéma était une passion et, déjà, je désirais faire partie de ce monde-là. Je me souviens de mon père, arrivé à la dernière minute à Cannes, parce qu’il tournait, pour recevoir le Prix d’interprétation pour son rôle dans Les Yeux noirs de Nikita Mikhalkov, et de ma fierté. Je revois François Chalais qui accueillait les artistes à leur descente de l’avion. Je me souviens de plateaux insensés, dont un, en particulier, avec Pialat, Depardieu, Montand, Barbara Hershey, qui avait reçu cette année-là le Prix d’interprétation (pour son rôle dans le film Le Bayou en 1987, ndlr). Je me souviens de directs, de Michel Field avec Abel Ferrara, où les choses n’étaient pas du tout calibrées et où il y avait ce brin de folie, ce côté happening. J’adorais toutes ces émissions où des réalisateurs et des acteurs arrivaient à minuit en smoking, avec le nœud papillon défait et la mine fatiguée. C’était super charmant, excitant et passionnant.

 

Aujourd’hui, vous vous apprêtez à faire une nouvelle expérience à Cannes, dans le rôle de la maîtresse de cérémonie…

Cela me fait très plaisir. J’ai un trac immense mais je suis ravie. Je le vis comme une chance absolue d’assister à la plus belle sélection de cinéma du monde. Je le fais avec beaucoup de sincérité car mon désir de devenir comédienne est né de mon plaisir de spectatrice, de mon amour des films. Je suis toujours très admirative de voir comment Thierry Frémaux parvient, chaque année, à proposer une sélection de longs-métrages tout à fait éclectique et où, parfois, surgit un premier film qui éblouit tout le monde. C’est aussi ça ce festival, un tremplin qui peut tout faire basculer. Le Festival est une promesse de sensations vertigineuses, un endroit où existe toujours la possibilité de l’inattendu.

 

Vous dites que vous avez le trac, mais le fait d’être montée sur les planches avec la pièce de Christophe Honoré, Le Ciel de Nantes, ne vous a-t-il pas aidée ?

C’est vrai et cela a certainement contribué au fait que j’accepte. Il y a parfois des choses que l’on aimerait faire mais dont on se sent incapable. L’expérience du théâtre a contribué à ce que je puisse presque sereinement affirmer : « J’ai envie de le faire. » Néanmoins, lorsqu’il m’est arrivé de remettre des prix à Cannes, j’étais dans des états inimaginables. Je crains donc d’être absolument infréquentable la semaine précédant la cérémonie d’ouverture !

 

Comme envisagez-vous votre rôle de maîtresse de cérémonie ?

Mon rôle est d’accueillir les gens, ceux qui sont présents comme ceux qui regardent l’événement devant leur écran, et de « lancer les jeux ». L’ouverture et la clôture sont deux atmosphères, deux moments très différents, parce que l’attente des résultats, l’expectative créent une tension. Donc, à quelques instants du palmarès, on évite les grands discours. Même s’il y a un aspect formel dans l’exercice, j’aimerais parvenir à ce que ce soit chaleureux et naturel. J’espère vraiment être à la hauteur, parce que, parmi tous les festivals où j’ai eu la chance d’aller, Cannes reste pour moi à part.

« J’ai aussi eu la chance de côtoyer très jeune des metteurs en scène qui avaient des personnalités très fortes, des univers très marqués. Non seulement cela a été très formateur mais je pense que cela m’a aidée à me construire. »

Lorsque vous avez reçu le Prix d’interprétation pour Chambre 212, vous avez dit n’être que «  l’instrument » du réalisateur. Avec votre filmographie, êtes-vous sûre de n’être qu’un instrument, n’apportez-vous pas votre créativité ?

Bien sûr, on amène notre touche, notre « créativité », comme vous dites, mais ce sont les metteurs en scène qui décident de tout, de l’histoire qu’ils vont raconter, de la façon dont ils vont la filmer, de ce qu’ils gardent, etc. Quand un acteur est bon, ce n’est pas juste parce qu’il est bon. Il l’est parce que le metteur en scène l’a saisi au moment juste et que tout un ensemble de choses qui sont de la responsabilité du réalisateur était en place. Quand je parle d’instrument, je ne dis pas une enveloppe vide et molle. Mais la manière dont un réalisateur dirige, toute l’imagination qu’il déploie sont très inspirantes pour nous, acteurs. Je suis l’instrument, parce que j’estime être complètement au service du film, enfin j’espère.

 

Cela signifie-t-il que vous choisissez vos rôles en fonction des réalisateurs ?

J’ai besoin de faire confiance à tous les metteurs en scène avec lesquels je travaille. Par exemple, dans le cas de Christophe Honoré, il a plus confiance en moi que je n’ai confiance en moi. Donc, mathématiquement, si j’ai confiance en Christophe comme il a confiance en moi, je m’y retrouve !
Il m’est arrivé de dire oui à des films qui n’étaient même pas écrits. Cela a été le cas, par exemple, pour Trois vies, une seule mort de Raoul Ruiz et pour La Lettre de Manoel de Oliveira. Ce qui ne signifie pas pour autant que le scénario ne m’intéresse pas, mais le réalisateur prime sur tout le reste. J’ai aussi eu la chance de côtoyer très jeune des metteurs en scène qui avaient des personnalités très fortes, des univers très marqués. Non seulement cela a été très formateur mais je pense que cela m’a aidée à me construire.


Christophe Honoré a eu un rôle particulier dans votre parcours de comédienne…

Il est toujours arrivé de façon providentielle, à des moments où j’étais dans le doute. Avec sa créativité et sa volonté de raconter toujours des choses différentes, il m’a emmenée loin, dans des directions où je pensais être incapable d’aller, comme le théâtre, et il m’a toujours donné l’impulsion pour le faire.

 

Vous racontez des histoires en jouant, vous aimez le travail d’équipe, la prochaine étape n’est-ce pas pour vous de passer à la réalisation ?

Quand je joue, je raconte des histoires mais elles sont inventées par d’autres et je suis un personnage dans un monde autre que le mien. Je pense que je serais incapable de réaliser. Je n’y ai d’ailleurs jamais pensé.



Quels sont vos projets ?

J’ai joué avec Clive Owen dans Mr Spade, la  nouvelle série de Frank Scott, qui avait signé Le Jeu de la dame. En ce moment, je tourne dans le film de Claire Burger, Langues étrangères. Cet été, je retrouve Christophe Honoré pour un film et je retournerai sur scène l’année prochaine avec sa pièce Le Ciel de Nantes.

 

Propos recueillis par Amélie De Vriese

  


 

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