Les passagers du pont ©Riddim Production
Documentaire Archipels

Les passagers du pont

Le 6 septembre 2017, Saint-Martin est dévasté par l'ouragan Irma, un cyclone de force 5. L'île est détruite. Quatre après, la réalisatrice guadeloupéenne Mariette Monpierre est partie à la rencontre de deux hommes que tout oppose, venant de deux quartiers séparés par un pont.  Jérémy, ancien délinquant, et Patrice, propriétaire de l’un des plus beaux hôtels, vont tenter de reconstruire l’île. Un lien très fort se crée. Une solidarité spontanée et inattendue s’installe entre ces deux inconnus que rien au monde n’aurait amené à se rencontrer si ce n’était Irma. Ils décident de se battre et de travailler ensemble.
Quel est le nouveau visage de ce Saint-Martin qui tente de renaître ? Et que veut dire être Saint-Martinois, avant et après Irma ? Autant de questions auxquelles le film cherche des réponses dans le Saint-Martin d’aujourd’hui.

Jérémy, 28 ans, est né à Saint-Martin dans une famille monoparentale. Enfant difficile, sa mère, dominicaine, l’envoie vivre chez sa tante aux États-Unis, dans l’État du New Jersey, dans l'espoir qu'il s'améliore. Mais, là-bas, livré à lui-même et sans argent pour poursuivre ses études, Jérémy tombe dans la drogue et la délinquance. Il devient leader de gang et fait de la prison. Derrière les barreaux américains, il jure de s’en sortir et de changer sa vie. Il revient au pays et monte l'association Madtwoz Family « pour venir en aide aux délinquants, aux chômeurs, à tous ces jeunes qui sont perdus, tombés dans la drogue parce qu’ils n’ont aucun but dans la vie. Je suis passé par là. Je n’ai eu personne qui me servait d’exemple », dit-il.

Aujourd'hui, sa bataille est aussi d'aider les gens à se relever après le passage d’Irma. Jérémy constate avec horreur la catastrophe dans son quartier de Sandy Ground. Il traverse le pont qui le conduit à Marigot, une zone opulente, où sont amarrés, dans la baie, de somptueux bateaux et où les hôtels de luxe accueillent une riche clientèle. Mais, arrivé au niveau du Beach Plaza Hotel, il découvre une zone de guerre. Les bateaux sont sur les trottoirs défoncés. Patrice, le propriétaire du Beach Plaza Hotel, est là, effondré. Il arpente le trottoir devant son hôtel, constatant les dégâts. « C’est surréaliste ! » marmonne-t-il dans sa barbe. Alors que Jérémy traverse la rue, Patrice le prend à partie, alors qu'ils ne se connaissent pas du tout : « On dirait qu’une bombe est tombée à travers le toit. C’est le même effet ! »  Jérémy s’arrête et acquiesce, incrédule.

Les deux inconnus restent longtemps à se parler. Mais cette solidarité va-t-elle durer au-delà d’une distribution de vivres ? Sera-t-elle assez forte pour jeter les bases d’un nouveau paysage social et une redéfinition du vivre ensemble où toutes les composantes de la société de Saint-Martin seraient des citoyens à part entière, avec les mêmes opportunités pour tous ? Si Irma a forcé Patrice et Jérémy à se regarder, à se parler et à commencer un bout de chemin ensemble, cela va-t-il engendrer une nouvelle conscience solidaire à long terme ?

Une conscience solidaire nécessaire dans cette île qui jusque-là vivait une ségrégation qui ne disait pas son nom. Irma a frappé avec la même force, ignorant les différences sociales et raciales. Ils étaient tous Saint-Martinois, égaux devant Irma.

Archipels

52 min

Auteure-réalisatrice
Mariette Monpierre

Production
Riddim Production
360° Productions FWI

Avec la participation de
CNC
Région Guadeloupe 

2022

Note d'intention de la réalisatrice, Mariette Monpierre
 

Mariette Monpierre © Alain Cassang
© Alain Cassang

Une rencontre...

Quelques jours après le passage d’Irma, rien ne compte pour moi que d’aller à Saint-Martin. Ce qui se passe est trop violent pour rester observateurs. Je veux aider. Je veux me rendre utile et comprendre. J’entends dire que des avions militaires décollent, mais il faut avoir un laissez-passer, une autorisation de la préfecture. Au diable ! Je vais quand même à l’aéroport, espérant un miracle.
Un groupe de journalistes passent les contrôles de police. J’en reconnais un. Je me faufile. Mais la police m’arrête.
Il y a sept laissez-passer et je suis la 8e ! « Quel est votre nom ? » demande-t-il. Je suis pétrifiée. Je n’ai pas prévu de réponse. Je le regarde. Il appelle quelqu’un au téléphone. C’est foutu. Je vais me faire jeter. Je baisse les yeux. « Il y a une erreur. C’est bien huit laissez-passer et non sept. Allez-y, madame, dépêchez-vous. » « Merci. » Je bredouille. Je file sans demander mon reste. Je n’ai jamais su le nom de l’officier. Je suis heureuse du miracle qui vient de se produire. Dans l’avion qui nous emmène à Saint-Martin, je savoure le miracle qui vient de se produire. Mais je déchante à mon arrivée.
Dès que je pose le pied à Grand-Case, je comprends que c’était une grosse erreur de venir ici à Saint-Martin ! Saint-Martin, c’est une ambiance morbide. Un chaos total. Une zone de guerre immonde. Mais qu’est-ce que je suis venue chercher ici ? On m’explique d’abord que je ne pourrai pas repartir. Quoi ? Il y a des milliers de locaux qui font la queue pour quitter l’île.
J’atterris chez William, un expat franco-français du Crédit Mutuel marié à une Sénégalaise. Sa femme et sa fille ont réussi à partir en Guadeloupe mais lui a préféré rester pour s’occuper de la maison. Il me raconte leur angoisse et le moment inoubliable où l’œil du cyclone est arrivé sur eux. C’était quinze minutes de répit, d’accalmie où ils pouvaient intenter un secours.
De fil en aiguille, je rencontre Patrice, puis Jérémy, et je suis fascinée par leur courage et l’exemple qu’ils montrent. Est-ce que ces deux passagers du pont inaugurent une nouvelle manière fraternelle de vivre entre Saint-Martinois ?
Ils ont bien conscience qu’ils ne vont pas abolir les disparités sociales, les inégalités existantes, mais ils montrent à tout un chacun le chemin à emprunter.
C’est un bel exemple de fraternité à suivre. À leur mesure et avec leurs moyens, ils comblent le fossé. Ils enclenchent une nouvelle fraternité. Pour changer le monde, il faut commencer par se changer soi. Jérémy m’a demandé : « Tu connais Carnegie ? Il disait : “A man who dies rich, dies disgrace.” Ça veut dire que si tu meurs riche, tu meurs maudit. » Patrice adhère complètement à cette pensée.
Il y a quatre ans, Jérémy et Patrice ont marché sur le pont et l’ont traversé ensemble de nombreuses fois. D’un seul coup, ils sont devenus symbole de la fraternité et de la solidarité parmi les habitants de Saint-Martin. Mais, aujourd’hui, c’est l’heure des premiers bilans ; en documentant les parcours de Jérémy et Patrice au lendemain d’Irma et quatre ans après, nous tenterons d’exorciser le traumatisme que fut le passage du cyclone et de mesurer ses conséquences durables sur Saint-Martin et les Saint-Martinois.

Les passagers du pont ©Riddim Production

Patrice et Jérémy

Les passagers du pont ©Riddim Production

Patrice et Jérémy

Les passagers du pont ©Riddim Production

Les passagers du pont

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