Interview d'Émilie Pécourneau, « fille de paysans »

Émilie Pécourneau

L'histoire des Pécourneau a suscité une profonde émotion en France en 2019. Alors que sa famille se trouvait au bord de la faillite, Émilie, fille aînée résolue et courageuse, a surpris ses parents en prenant l'initiative de lancer une cagnotte en ligne qui a permis aux siens de s'en sortir provisoirement. Cet exemple de détermination et de solidarité a inspiré Julie Manoukian. Elle s’est inspirée de cette histoire pour écrire Fille de paysan. À l’occasion de la 59e édition du Salon de l’agriculture, ce film inédit, coproduit par la RTBF, sera diffusé sur France 2 le mardi 28 février ou mercredi 1er mars à partir de 21.10. (date définitive communiquée vendredi 10 février)

Rencontre avec Émilie Pécourneau. 

Comment vas-tu et que deviens-tu ?

Je vais très bien ! Je suis des études d’assistante vétérinaire à distance depuis Madaillan, mon village dans le Lot-et-Garonne, et je passe mon permis de conduire. Parallèlement, je continue d’aider mes parents, l’après-midi, après mes cours. Dès la fin du déjeuner et jusqu’au soir, je les aide à préparer les terres. En ce moment, nous sommes en train de faire les semences. 

 

Pour revenir sur ce qui est arrivé en 2019, comment as-tu eu l’idée de la cagnotte en ligne ? 

Je me suis rendu compte que les cagnottes en ligne fonctionnaient très bien pour les cadeaux en commun ! Alors, je me suis dit que, peut-être, cela valait la peine que j’essaie quelque chose pour aider mes parents. Je n'aurais jamais pu imaginer qu’une simple idée qui a germé dans ma tête le temps d’un instant puisse prendre une telle ampleur. 

 

Comment tes parents ont-ils réagi à l'initiative de la cagnotte en ligne ?

Mes parents refusaient que mes sœurs et moi utilisions Internet lorsque nous étions petites. Donc, quand j’ai créé la cagnotte, je ne leur ai rien dit. Les rendez-vous avec les journalistes s'accumulant, j’ai bien été obligée de leur dire (rires). J’avais peur de leur annoncer car j’avais bravé leur interdit. Mais lorsqu’ils ont compris mes motivations, ils ont été émus aux larmes ; ils ne s'attendaient pas à ce que je fasse quelque chose de si important. Je dois admettre que, même moi, je ne m’imaginais pas capable de faire une telle chose ! (rires)

 

Comment vont tes parents ? Que cultivent-ils maintenant ?

Mes parents se portent bien, ils travaillent à la ferme ! Ma mère est en train de préparer les semences de tomates, courgettes et concombres ! Mon père, quant à lui, se concentre sur les champs de céréales. Nous avons déjà planté des fèves, des petits pois, des oignons, des échalotes et de l'ail. Nous faisons tout notre possible pour préparer une bonne saison ! 

 

Cette expérience a-t-elle changé ta vision des choses sur la solidarité ? 

Cela a transformé ma perception de la solidarité. J’ai aussi découvert la puissance de la communauté en ligne. Mais les plus surpris, c’étaient sans aucun doute mes parents ; ils ne s’attendaient pas du tout à un tel élan de générosité ; ils pensaient que leur situation – et celle des agriculteurs en général – n’intéressait et ne touchait personne. Nous avons tous découvert que l'entraide pouvait exister, bien plus que ce que nous le pensions. Je serai toujours reconnaissante envers tous ceux qui nous sont venus en aide, et mes parents plus encore. 

 

As-tu rencontré Justine Lacroix, la jeune fille qui interprète ton rôle dans le film ? 

Je suis venue trois jours sur le plateau du tournage de Fille de paysan où j’ai rencontré toutes les équipes avec qui j’ai pu beaucoup échanger. Justine m’a posé quantité de questions sur mon histoire, et j’espère que mes réponses lui ont été utiles. En tout cas, j’adore la façon dont elle interprète le rôle et je suis sûre qu’elle a un bel avenir devant elle. 

 

Aurais-tu imaginé que ton histoire puisse inspirer une fiction ?

Je n’aurais jamais pu imaginer cela ! Un jour, Floriane Cortes et Jacques Salles (ndlr : producteurs de Fille de paysan) sont venus nous parler d'un film basé sur notre histoire. Au départ, nous étions vraiment perplexes. Mais, après réflexion, nous nous sommes dit que si notre histoire pouvait aider les agriculteurs, alors cela en valait la peine. Nous sommes même fiers de partager notre témoignage et espérons que cela suscitera des réactions positives.

 

As-tu rencontré la réalisatrice, Julie Manoukian ? As-tu, avec ta famille, collaboré avec elle pour vous accorder sur la représentation de votre histoire ? 

Nous avons eu l’honneur de la rencontrer. Nous lui avons raconté toute notre histoire. Elle a pris des notes pour écrire son scénario. Notre récit a été le point de départ de sa fiction où elle ne raconte pas seulement notre vécu, mais aussi celui de beaucoup d’agriculteurs qui traversent les mêmes difficultés que nous. Je suis ravie du résultat final et j'ai beaucoup aimé le film ! 

 

Quel est le message que tu souhaites que les spectateurs retiennent du film ?

Qu’il faut croire en l’entraide et ne pas avoir peur de parler de ses problèmes. N’oublions pas que nous sommes, nous paysans, tous liés à  la population,  parce que nos produits la nourrissent. Si nous ouvrons nos cœurs et partageons nos histoires, peut-être serons-nous écoutés. Peut-être trouverons-nous ensemble une solution afin que tous les agriculteurs puissent s’en sortir.

 

Propos recueillis par Margaux Karp