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À voix haute

Documentaire - Inédit - Mardi 15 novembre 2016 à 22.50

Depuis 2013, Éloquentia, concours d’éloquence à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, confronte chaque année les prestations de trente jeunes. Le prix à gagner n’est pas mince : devenir le meilleur orateur du 93 et, mieux encore, apprendre, lors de la formation, à maîtriser l’art « politique » du discours. Stéphane de Freitas avec Ladj Ly, coréalisateur, nous racontent cette histoire et signent un documentaire enthousiasmant qui déboulonne les idées reçues.

Stéphane de Freitas - fondateur de La Coopérative Indigo, une association qui a pour vocation de créer du lien social -, n’est pas seulement auteur et réalisateur du documentaire, il est le créateur d’Éloquentia, cette association qui met sur pied, chaque année, le concours d’éloquence à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis dont traite le film. Ce concours prend racine dans le vécu de Stéphane de Freitas. Descendant d’immigrés portugais originaire de Seine-Saint-Denis, vivant en banlieue, il se sent « emmuré dans les mots »* lorsqu’il part étudier dans un quartier chic de l’ouest parisien.  « Si maîtrisé que soit cet exercice (de l’éloquence), déclare Stéphane de Freitas, il n’en demeure pas moins un exercice, auquel j’ai toujours cru que quiconque pouvait se frotter. Avec la maîtrise des codes, la maîtrise des références et celle, plus largement, du langage, vient un rapport au monde plus apaisé, moins complexe. Par l’entremise du concours Eloquentia, qui est ouvert à tous les majeurs du département de Seine-Saint-Denis, il s’agit de proposer un cadre d’expression où chacun dispose de ses propres armes pour combattre et, au bout du compte, pour convaincre. Le rapport au monde et au quotidien est une base différente de réflexion, et c’est ce qui leur donne des armes uniques. »

Rencontres, variété et échanges
Éloquentia fait venir de grands avocats parisiens en banlieue, mélangeant des univers qui ne se rencontrent a priori jamais. Chaque année, l’association sélectionne une trentaine d’étudiants aux cursus variés. Ces derniers suivent une formation pour se préparer aux joutes verbales et acquérir une aisance à s’exprimer. On leur apprend à se placer, à se déplacer, à respirer, à articuler, à porter sa voix et à regarder l’auditoire. Le fond n’est pas négligé, et ils doivent s’appliquer à articuler un discours et construire une pensée. Pour certains, prendre la parole est un vrai combat. Alors, « avoir réussi à participer (…), déclare Elhadj, j’en suis fier » car cela implique de « sortir de ma zone de confort ». Les professeurs sont ici trois, un avocat, un metteur en scène et un poète qui vient de la scène du slam. La notion d’échange est au centre de leur méthode d’apprentissage. Dans leurs ateliers, de manière ludique, ils apprennent à argumenter et convaincre … « Au fil de la formation, explique Stéphane de Freitas, tous les types de prise de parole sont abordés : discours, plaidoirie, poésie, slam… Et tous les styles sont autorisés, de l’argumentaire logique à la démonstration théâtralisée, sous forme de rap ou en alexandrins. Les performances proposées sont dans tous les cas des mises en danger, les deux pieds loin de leur zone de confort, au grand étonnement de l’univers sobre de la rhétorique classique, afin de réconcilier ce qui pouvait sembler irréconciliable ».

« Une arme qui sert à se défendre. »
Le rapport à l’oral varie d’un étudiant à l’autre. L’un a l’impression qu’il faut « arracher la parole ». Un autre, qui se rêve comédien, ne redoute pas l’exercice. Leur soif d’apprendre et de maîtriser la langue raconte beaucoup de la vie de ces jeunes et de leur vision de l’avenir. Pas de commentaire, la parole est définitivement aux candidats. Leurs mots plein d’acuité et d’humour – parfois acide – disent la façon dont ils conçoivent la société et la position qu’elle leur octroie.  Elle dit aussi quelle place ils veulent occuper. Tous ont saisi la force politique de l’éloquence. « Quand tu sais parler, tu as l’impression de pouvoir gouverner le monde », dit ainsi Elhadj, lequel désire user de la parole pour témoigner. En racontant son expérience de l’expulsion et de la rue, il espère sensibiliser le public.  « La parole, réagit Eddy, l’apprenti comédien, c’est une arme qui sert à se défendre. Si j’avais eu les bons mots au bon moment, j’aurais pu changer le cours de ma vie. » Jeune femme d’origine syrienne, Leila veut dénoncer les abus commis par Bachar el-Assad, « repenser le sexisme » et « déconstruire les préjugés ».
Le documentaire campe avec intelligence le caractère de ces jeunes pleins de passion. Les blessures se révèlent par touches subtiles, par exemple à travers les exercices, les scènes avec les parents, les images des objets de la chambre d’une jeune femme. Petit à petit, on découvre chaque participant sans qu’il n’y ait de volonté des réalisateurs de souligner leur part de « tragédie personnelle ». On l’entend, on la comprend. Mais c’est surtout leur bonne humeur, leur énergie, leur envie d’en découdre avec la vie, leur talent et leur sensibilité qui nous conquièrent. Totalement.

A. De Vriese

* Source : interview d’Alban de Montigny, La Croix (30/8/2016)

Un documentaire écrit et réalisé par Stéphane de Freitas / Coréalisé par Ladj Ly
Une production My Box Productions
Produit par Harry Tordjman & Anna Tordjman
Montage : Jessica Menendez / Pierre Herbourg
Image : Ladj Ly / Timothée Hilst
Son : Henri D’Armancourt
Avec la participation de France Télévisions, du Centre national du cinéma et de l’image animée
Avec le soutien de la Commission Images de la diversité-CGET/Acsé

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