Portrait d'Élise Lucet

Cash Investigation

L'eau : scandale dans nos tuyaux (titre provisoire)
Magazine d'investigation - Inédit - Mardi 13 mars 2018 à 20.55

Cash Investigation, présenté par Élise Lucet, s'est intéressé au monde opaque du business de l'eau. En France, ce marché pèserait près de 9 milliards d'euros. Explications de la journaliste Marie Maurice.

« L’eau est une thématique extrêmement riche qui recouvre aussi bien le secteur industriel, financier, environnemental que sanitaire. Une globalité rarement traitée faute de temps et à laquelle nous avons souhaité nous intéresser. »

La délégation de service public
« En France, le service public de l’eau est une obligation pour les collectivités. Parmi les moyens pour y parvenir, celui de la délégation de service public. Cela revient à confier le réseau d’eau potable à un délégataire, c’est-à-dire une entreprise privée chargée de l’exploiter. Et c’est ainsi que des entreprises françaises ont réussi à rayonner à l’étranger en proposant un service similaire à celui qu’elles rendent en France. Nos championnes mondiales se nomment Veolia eau et Suez environnement. Respectivement numéros un et deux des services à l’environnement dans le monde, elles sont aussi les deux délégataires majoritaires du service public de l’eau potable en France. »

Le cas de la Saur
« La Saur occupe la troisième place dans l’Hexagone parmi ces délégataires. Et c’est à cette entreprise que nous nous sommes plus particulièrement intéressés, à travers l'un de ses plus anciens et plus gros contrats, celui de la commune de Nîmes qu’elle gère depuis près d'un demi-siècle. Nîmes est aujourd’hui dans le top 50 des villes françaises les plus peuplées et, parmi ces villes, la plus mal classée en rendement d’eau potable. Pour calculer ce rendement, il suffit de faire un ratio entre le volume d’eau prélevé dans les nappes phréatiques ou à la source et celui qui arrive chez les usagers. À Nîmes, près de 30 %* de l’eau disparaît dans les réseaux, dans les fuites. Nous nous sommes donc rendus sur place pour essayer de comprendre pourquoi, en près d’un demi-siècle de gestion, la Saur n’avait pas obtenu de meilleurs résultats. Sachant par ailleurs que ce contrat lui permet de dégager de confortables bénéfices, nous avons essayé de savoir si la marge de cette entreprise était finalement raisonnable par rapport au service rendu aux usagers et si cette marge officiellement déclarée était la marge réelle. Or, d’après plusieurs experts, dont celui avec lequel nous avons travaillé, la Saur gagnerait encore plus d’argent que ce qu’elle déclare sur le contrat qui la lie à Nîmes. Les grands perdants dans cette histoire sont les Nîmois. Ils payent une eau qui, a priori, est bien trop chère par rapport au service rendu. »

Couper l’eau malgré l’interdiction
« Dans cette émission, il nous était impensable de ne pas évoquer le cas de ces usagers victimes de coupures d’eau, alors que cela est interdit depuis le décret de la loi Brottes en février 2014. Nous avons pris pour exemple l’histoire d’une femme résidant dans les Pyrénées-Orientales, pour montrer que les délégataires de service d’eau potable en France continuent à couper ou à réduire le débit de l’eau en cas d’impayé. La Saur, qui avait le monopole de la gestion de l’eau dans son village, lui refusait ce dû, malgré ses demandes, au motif qu’elle n’avait pas réglé une dette. En désespoir de cause, cette femme avait bricolé un branchement pour obtenir de l’eau chez elle et s’était retrouvée poursuivie par la Saur puis condamnée par la justice pour vol d’eau. Et c’est finalement l’association France Libertés qui, en se saisissant du cas de cette femme, a assigné la Saur au tribunal pour qu'elle lui remette l'eau. »

Le SIAAP 
« Enfin, nous avons enquêté sur un syndicat public extrêmement opaque. Celui-ci fait l’objet, depuis plusieurs années, d’une information judiciaire du parquet national financier (PNF) et de dénonciations de la part d’un corbeau, qui rapporte que les marchés passés par cet établissement public seraient truqués et feraient l’objet d’ententes entre petits et gros industriels (comme Veolia ou Suez), c’est donc aux tribunaux qu’il appartiendra de trancher.
Avec un budget annuel de fonctionnement et d’investissements estimé à 1,2 milliard d’euros, le syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (Siaap) est le premier donneur d’ordre du secteur environnemental en France. Il gère l’assainissement des eaux usées, domestiques et industrielles de 9 millions d’usagers franciliens et celui des eaux pluviales. Nous avons donc enquêté sur cette entreprise publique, qui travaille avec l’argent des Franciliens, et sur son fonctionnement, et nous avons découvert des pratiques qui flirtent avec la ligne. »

Propos recueillis par Clotilde Ruel

En 2016, le volume de fuites d'eau est de 5 166 milliards de litres sur la commune de Nîmes.
 

Une enquête inédite réalisée par Marie Maurice


Pour aller plus loin 

La gestion de l’eau du robinet, un marché de 5,2 milliards d’euros
Entre 2009 et 2014 (derniers chiffres disponibles), le prix moyen du mètre cube a augmenté de 10 %, pour atteindre 3,98 euros (eau et assainissement collectif compris). Et la note moyenne frôle désormais les 500 euros par an (pour 120 mètres cubes consommés), quand elle n'était que de 430 il y a huit ans. En 2012, Veolia eau, Suez environnement et Saur se partageaient un marché de 5,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Sources : Capital, 12 novembre 2017, et L’Humanité, 10 mars 2015


La loi Brottes contre les coupures et réductions d’eau
« Depuis la loi Brottes de 2013 (art. L115-3 du Code de l'action sociale et des familles) et son décret d'application de février 2014, les coupures d'eau sont interdites dans une résidence principale, quelle que soit la situation financière des clients concernés. Par ailleurs, lors de précédentes affaires, la justice a élargi cette interdiction aux réductions de débit, estimant qu'elles entraînent les mêmes conséquences qu'une coupure en privant les habitants d'un usage normal de l'eau, élément indispensable pour qu'un logement soit qualifié de décent. »
Source : Libération, 5 septembre 2017


Le Siaap
C’est le seul syndicat interdépartemental d’assainissement des eaux en Europe et la première entreprise publique à l'échelle de la première métropole européenne par la densité de sa population. Chaque jour, par temps sec, ses six usines d’épuration dépolluent près de 2,5 millions de m3 d’eaux usées (soit le volume de la pyramide de Khéops). Couvrant un territoire de 1 800 km2, son périmètre d'intervention englobe quatre départements (Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne) et 180 communes réparties sur quatre autres départements.
Source : siaap.fr

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