LE SILENCE DES ÉGLISES
Soirée continue – Prêtres pédophiles : la fin du silence ? (Fiction / Débat)

Le Silence des Églises

Fiction - Mercredi 13 avril 2016 à 20.55

Sophie Révil, productrice, et Thierry Debroux, scénariste, ont uni leurs talents à l'occasion de cette fiction française, la première à avoir traité de ce sujet sensible, la pédophilie dans l’église catholique. À la fois pudique et engagé, ce film est inspiré de faits réels et sera suivi d'un débat animé par Julian Bugier.

Les questions délicates ne vous font pas peur, mais pourquoi vouloir aborder celle-ci ? 
Sophie Révil : Le silence sur des sujets gênants est érigé en dogme dans les familles très catholiques comme celle où j’ai grandi. Ce silence m’a profondément marquée. Pourtant, je n’ai pas été confrontée directement à un problème de pédophilie, qui touche beaucoup moins les filles. Mais cela m’a donné envie de traiter de l’omerta qui règne au sein de l’Église sur cette question. 
Thierry Debroux : Moi, j’étais sûr que nous allions pouvoir libérer la parole des victimes, et ça s’est avéré. Ce film est pour moi un acte politique, militant. 

Pourquoi ne pas en avoir fait un documentaire ? 
T. D.
: Nous n’aurions pas pu montrer les moments clefs du parcours des victimes ni interviewer les grands prédateurs qui auraient pu nous manipuler comme ils le font avec tout le monde. En termes d’authenticité, le film reste très proche du documentaire. 
S. R. : Dans tous les documentaires portant sur le sujet, les prêtres ou leurs victimes apparaissent toujours masqués ou de dos. Cela crée forcément une distance. Alors qu’une fiction, à condition qu’elle soit très documentée, permet d’entrer au coeur du sujet. 

Comment vous êtes-vous documentés ? 
S. R.
: Les associations de protection des enfants – comme Enfance et Partage, La Voix de l’enfant, L’Enfant bleu –, qui se portent partie civile lors des procès, nous ont dirigés vers des victimes. Christian Terras, rédacteur de la revue catholique progressiste Golias, nous a également beaucoup renseignés et présenté des avocats et des victimes comme Marc, qui a été abusé par Mgr Di Falco. 
T. D. : Pour écrire le scénario, je me suis appuyé sur plusieurs témoignages, mais principalement sur celui de Franck. Le film lui est d’ailleurs dédié. Il m’a livré tout ce qu’il avait enduré. Dans sa fratrie de huit garçons, sept ont été violés par le même prêtre, le père Lucas, un cousin éloigné de la famille, très charismatique. 

Quelle a été votre ligne directrice dans l’écriture ? 
T. D.
: D’emblée, avec Sophie, nous avions établi qu’il fallait éviter toute crudité. Pour nous, la suggestion est beaucoup plus parlante. On comprend ou on imagine ce qui se passe quand une porte se ferme… Dans la forme, le côté thriller s’est imposé aussi. Gabriel achète une arme, semble traumatisé par quelque chose, on ne sait quoi… On le suit. J’ai souhaité transcrire la tension intérieure du personnage par du suspense à l’écran. Gabriel part mener l’enquête sur sa propre vie, sur l’histoire de son passé. Grâce à la magie de la fiction, dans plusieurs scènes, je lui ai permis de croiser l’enfant qu’il était parce que, pour moi, cet homme est resté bloqué affectivement à l’âge de 12 ans. 
S. R. : Cette utilisation du thriller, du film de genre, fait la force du film. Thierry Debroux a eu le prix du meilleur Scénario à Luchon. Cela permet également que ce ne soit pas un film à charge ou à thèse. Nous avons essayé de ne pas être manichéens, et le personnage du père Daubresse représente ceux qui, dans l’Église, s’opposent à la loi du silence. Thierry a également tempéré le personnage de Mgr Peyrac. Mgr Pican est bien pire dans la réalité. Il a été le seul évêque condamné pour complicité. 

Comment avez-vous travaillé avec Edwin Baily ? 
S. R.
: Le scénario était magnifique. Le réalisateur, Edwin Baily, n’a fait aucune demande de réécriture. J’avais déjà travaillé avec lui sur les tout premiers Petits Meurtres, et j’apprécie la beauté formelle de ses images et sa direction d’acteurs parfaite. D’ailleurs, Robin Renucci donne l’impression qu’il y a deux acteurs. D’un côté, le jeune prêtre séducteur, tout sourires, et de l’autre, le vieil homme qui porte sur ses épaules le poids de sa culpabilité… Ils ont fait un travail incroyable. 
T. D. : Edwin Baily, c’est l’art du détail. Il va au-delà des images, il transcende le scénario. Moi, j’ai été touché par la fragilité qui émane d’emblée de Robinson Stévenin. Il y avait dans ses yeux la même émotion-tension que chez les victimes. 

Pourquoi avoir inventé cette scène du face-à-face qui ne peut pas exister dans la réalité ? 
T. D. : C’est vrai, mais le fait d’aller voir le prêtre et de lui cracher tout ce qu’il a fait subir est un fantasme partagé par tous ceux que j’ai rencontrés. J’ai voulu le réaliser pour eux, grâce à la fiction. Au procès, quand ils croisent leur bourreau, les victimes n’arrivent parfois même pas à le regarder dans les yeux, tant la douleur est forte. 

Qu’avez-vous découvert que vous ne soupçonniez pas ? 
S. R
. : Je n’imaginais pas qu’il y avait une raison d’Église comme il existe une raison d’État ni à quel point le silence de l’Église était organisé. Il s’agit de mensonges institutionnalisés entre les évêques et les prêtres. Quand une rumeur enflait, vite on déplaçait le curé en question. C’est pour cela qu’il peut y avoir des dizaines de victimes pour un seul homme. Aujourd’hui, l’épiscopat veut lutter contre la pédophilie. Le Vatican s’est prononcé pour la dénonciation à la justice mais, dans les faits, les prêtres pédophiles ne sont toujours pas exclus de l’Église et, à leur sortie de prison, retournent dans une paroisse. Puis, à plus ou moins brève échéance, ils se retrouvent en contact avec des enfants. 
T. D. : J’ai découvert une triple peine pour les victimes. Le viol en lui-même, bien sûr, mais également le fait d’en être complice. L’enfant, à 12 ans, se voit imposer la découverte de sa sexualité et en tire ainsi un certain plaisir. Il entre alors dans une sorte d’addiction, mais aussi de dégoût qui le poursuivra toute sa vie. Et, comme si cela ne suffisait pas, lorsque l’enfant essaye d’en parler, on lui oppose les arguments de la honte, du pardon et de l’esprit de corps dont tous les catholiques doivent faire preuve. 

Thierry Debroux, vous disiez que la parole s’était déjà libérée autour du film… 
T. D.
: Au festival de Luchon, après la projection, les spectateurs ont applaudi pendant dix minutes. On ne savait plus quoi faire sur l’estrade. Ensuite, ils posaient leurs questions la gorge serrée d’émotions vécues. Une dame est tombée en pleurs dans les bras de Robinson. 
S. R. : Quand j’ai essayé de poser une main sur son épaule, elle a sursauté. Et tu te souviens de cet homme, d’une soixantaine d’années, qui nous a confié : « Nous, on était des enfants de pauvres placés en institution, et c’était l’aumônier. » Il répétait en boucle : « C’était l’aumônier, il faut le dire…» C’était terrifiant. On a eu l’impression de soulever le couvercle d’une Cocotte-Minute. C’est pour ça que les associations se battent pour repousser encore la prescription (vingt ans depuis 2001 – NDLR), car la prise de conscience chez les victimes n’arrive parfois qu’à la faveur d’une pièce de théâtre, d’une émission de télévision, de la mort des parents, donc parfois très tard. On peut supposer d’ailleurs que 95 % des histoires n’ont pas été encore révélées.


Propos recueillis par Diane Ermel 
(en mars 2013 à l'occasion de la première diffusion)

© SCARELLA Gilles / FTV© Scarella Gilles / FTV

Gabriel, 27 ans, est un homme à la dérive, rongé par un mal intérieur que ses proches ne comprennent pas. Le secret de Gabriel est si terrible qu’il n’en a jamais parlé à personne. A 12 ans, il a été entraîné dans une relation amoureuse et sexuelle avec un prêtre, le Père Vincey, Directeur de son école religieuse. Quinze ans plus tard, Gabriel achète une arme et s’installe dans un petit hôtel proche du pensionnat dont le Père Vincey est toujours le Directeur charismatique…
Un affrontement entre une victime et son bourreau. Un homme seul face à une institution, l’Eglise, prête à tout pour faire que le silence recouvre la honte. 

Ce film est librement inspiré de l'affaire qui avait ébranlé l'église de France en 2001 lorsqu'un évêque, Monseigneur Pican était pour la première fois (et la seule à ce jour) condamné pour non-dénonciation de crimes sexuels sur mineurs (l'évêque de Bayeux avait en effet fermé les yeux sur les agissements de l'abbé Bissey, condamné lui à 18 ans de réclusion criminelle).

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Réalisateur :  Edwin Baily
Auteur : Thierry Debroux 
Compositeur : Stéphane Moucha 
Une coproduction Escazal Films – AT-Production – R.T.B.F. (Télévision belge) Film, en association avec uFund, avec la participation de TV5MONDE et de France Télévisions.
Avec Robin Renucci, Robinson Stévenin, Florian Vigilante, Astrid Whettnall, Sandrine Blancke, Éric de Staercke, Bernard Eylenbosch.

Le père Vincey est « un salaud qui souffre »

Quand Robin Renucci s'engage dans un film, ce n'est pas à la légère. Le projet doit avoir du sens, de la portée, un écho dans la société. Il doit nous donner à réfléchir, nous permettre de regarder par-delà le cadre de l'écran et de nos vies confortables.

Pourquoi ce projet vous a-t-il intéressé ?
Les sujets abordés dans Le Village français (France 3) ou dans Le Silence des Églises dégagent une telle puissance évocatrice qu’ils me permettent d’avancer dans ma réflexion personnelle, de nourrir ma sensibilité et mon intelligence et de partager ces expériences. J’essaye le plus souvent possible de m’investir dans des projets qui ont un écho au niveau collectif, parce que je trouve que nous vivons dans des sociétés où l’esprit critique doit être réactivé et sollicité et où il est indispensable de créer du discernement. Pour moi, la crise dont tout le monde parle est surtout une crise de perte des valeurs.

Quelle est la problématique du Silence des Églises ?
Justement, cette confusion morale incarnée par le personnage du père Vincey qui n’a pas réussi à devenir adulte et s’infantilise davantage afin de se mettre à la hauteur de l’enfant qu’il cherche à posséder. De toute éternité, l’Église a mis un cache sur les pulsions humaines. Dieu ayant créé l’homme à son image, ce dernier ne peut donc absolument pas en être constitué. Pourtant, il vaudrait mieux ne pas nier cet état pulsionnel qui risque de resurgir spontanément et réussir à s’élever au-dessus de cette condition animale. L’élévation est une question essentielle pour moi.

Et l’Église devient la grande muette dans les cas de pédophilie…
Le droit canonique admet et impose même le « secret professionnel » aux prêtres. La « brebis égarée » doit trouver en elle les ressources pour se dénoncer. En revanche, le droit français stipule que les prêtres ayant eu connaissance d’agissements délictueux sur mineur de moins de 15 ans doivent en signaler le ou les auteur(s) à la justice.

Qui est le père Vincey ?
C’est un salaud qui souffre, mais pour lequel je n’ai pas de compassion. Je l’ai construit comme un criminel que je joue de manière citoyenne. Certes, il est fin et subtil parce que ce genre d’individus ne peut se permettre d’être lisible comme étant un agresseur. Il doit se présenter sous un jour séduisant pour entrer au sein d’une famille, faire preuve d’intelligence et de force de persuasion. Il s’agissait, chez le père Vincey, de montrer en premier lieu cette amabilité car, en jouant le côté monstrueux, j’aurais écarté l’humain. Il est indéfendable politiquement parce qu’il détruit un enfant, mais n’est pas entièrement mauvais parce qu’il ne pense pas le détruire. Ces hommes sont incapables de vivre une relation d’égal à égal avec un autre adulte. Ils se mettent à hauteur d’enfant, et l’Église, avec son imagerie d’angelots, propose un décor parfait à cet amour que, pensent-ils, les autres ne peuvent pas comprendre tant il est pur.

Vous l’interprétez à quinze ans de distance. Était-ce une gageure ?
La fin du tournage était épuisante, parce que le père Vincey n’a aucun moment d’extraversion possible. Il est en constante retenue. Et j’avais en permanence en tête les deux aspects du personnage : un plutôt sportif, chef de colonie, joyeux – évidemment, puisqu’il est amoureux, heureux et qu’il vit sa sexualité –, l’autre, de quinze ans plus âgé, vieux, vide, seul et abîmé, ne se souvenant même plus de ce qu’il avait fait, comme s’il était anesthésié. Passer de l’un à l’autre, souvent dans la même journée, exigeait une très grande concentration. Je ne pouvais pas me permettre de sortir du personnage pour me détendre et rigoler un peu, au risque de le perdre.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile à jouer ?
La simplicité dans les rapports avec l’enfant. Pour lui dire « je t’aime », par exemple. C’est déjà une chose tellement difficile à dire en temps normal, dans la vie. Alors là… Trouver les justes intentions, ne pas déborder ni surjouer… C’était pour le coup une gageure.

Comment aborde-t-on ce type de sujet avec un enfant-acteur, en l’occurrence Florian Vigilante ?
J’avais peur qu’on lui vole, le temps du tournage, une partie de son enfance. C’était mon plus grand souci. Je me suis assuré auprès d’Edwin Baily, le réalisateur, que Florian Vigilante comprenait bien ce qu’il avait à jouer, que cela ne soit pas traumatique, qu’il soit bien acteur et que je puisse lui dire bonjour sans qu’il ait de difficulté à faire le distinguo entre fiction et réalité. On a eu des scènes délicates à tourner, mais le scénario est d’une grande subtilité. Il n’y a aucun échange de peaux, que des regards et des portes qui se ferment. Avec Robinson Stévenin, c’était différent. C’est un acteur majeur et adulte. Malgré tout, à travers la personne que l’on est, le personnage que l’on joue, la situation que l’on met en place pour la caméra, tout doit être juste. C’est exactement comme des gens sur un fil : tout le monde est responsable du mouvement.

Vous êtes passionné et engagé sur les questions d’éducation, de formation, de transmission et de partage de ces richesses…
Ce sont les préoccupations de ma vie depuis très longtemps. J’ai été parrain d’Enfance et Partage pendant six ans, avec pour mission d’alerter le public sur le fait qu’un enfant maltraité peut devenir un adulte maltraitant. Actuellement, je m’investis dans des associations pour les droits de l’homme, comme le Secours populaire, et dans l’association que j’ai créée en Corse, L’Aria, qui a une mission d’éducation populaire et de transmission dans le domaine du théâtre. Je ne conçois mon métier d’acteur et ma responsabilité de directeur des Tréteaux de France que dans ce sens. Je veux accompagner la production d’imaginaires afin que chacun puisse s’élever, fasse un travail individuel et collectif pour non seulement bien vivre ensemble, mais créer ensemble, construire ensemble une société non inhumaine.


Propos recueillis par Diane Ermel
(en mars 2013 à l'occasion de la première diffusion)

 

Robin Renucci
« Le début se construit comme un polar »

Le teint pâle et le regard lumineux, Robinson Stévenin partage toute l'émotion qu'a fait vibrer en lui Gabriel.

« Je crois que Sophie Révil, la productrice, a pensé à moi parce que j’avais joué dans un des Petits Meurtres d’Agatha Christie (l’épisode Am Stram Gram, NDLR). Pour ma part, j’ai accepté ce rôle en me fiant à mon instinct. C’était une justification suffisante à mes yeux. J’ai aimé la construction et l’écriture de ce film, la manière dont Gabriel s’approche doucement de son bourreau. Bien qu’au début, on ne saisisse pas ce qu’il a exactement en tête. Après un accident de la route, il va voir sa mère. Il part dans une petite ville où il prend une chambre d’hôtel. Il porte une arme sur lui. Tout ça est très mystérieux et se construit comme un polar. Le suspense est palpable. »

Finalement, on apprend que Gabriel…
… a été abusé à 12 ans par le père Vincey, directeur et chef de la chorale de son école. Gabriel est en rage, contre lui- même et contre Vincey. Il n’a jamais rien dit aux personnes qui auraient pu l’aider : sa mère, à qui il a menti pendant des années, sa prof de dessin, qui s’est fait renvoyer. Il a gardé le silence trop longtemps et se sent à la fois victime et complice. Depuis l’enfance, il est coincé dans ce piège mais, contrairement à d’autres, il essayera de s’en libérer. Tel un jeune guerrier, un révolutionnaire, Gabriel va s’attaquer à l’institution qui a orienté et dominé une partie du monde où l’on vit. Le pouvoir de l’Église, ce n’est pas rien ! Pour autant, Gabriel n’est pas un héros, c’est un précurseur. Il est juste très courageux.

Quel est son déclencheur, son moteur ?
Depuis toujours, Gabriel est obsédé par le père Vincey. Mais, au moment de l’accident de voiture, il prend conscience qu’il a failli tuer son fils à cause de cette obsession. Il est alors propulsé dans l’action. Pour moi, ça ne fait pas de doute, la relation filiale est son déclencheur. D’ailleurs, lors de son face-à-face avec le père Vincey, Gabriel évoque le fait qu’il se sent sale à chaque fois qu’il prend Romain dans ses bras : « J’ai des mauvaises pensées. Je suis pourri de l’intérieur. Je sens encore ton odeur sur moi. Je pourrais me laver encore pendant mille ans que je la sentirais toujours. » C’est poignant !

Cette scène est un des points d’orgue du film…
Ce face-à-face incroyable relève du fantasme pour la majorité des victimes. Il s’agissait de ne pas les décevoir. Gabriel s’invite quasiment à dîner chez le père Vincey. Et pendant toute la scène, on se demande quand est-ce qu’il va le tuer. Il ne lui raconterait pas tout ça s’il ne pensait pas le buter au dessert ! La difficulté a été de ne pas avoir constamment un regard de tueur. Avec Robin Renucci, nous avons travaillé chacun de notre côté et, finalement, c’est une certaine intimité qui est apparue naturellement au moment du tournage. Un aspect de leur relation que Gabriel confie à l’avocat, vers la fin du film, en disant : « On était comme un couple. »

Comment aborde-t-on un tel personnage ?
J’étais déjà très heureux qu’on me propose de jouer Gabriel. Après, je ne cessais d’y penser, je vivais tout le temps avec lui. En tant qu’acteur, on puise dans sa propre sensibilité et son imagination pour rencontrer celles du personnage. En revanche, je n’ai pas voulu trop m’informer sur la pédophilie dans l’Église. Je savais que Thierry Debroux, le scénariste, et Sophie Révil avaient fait de nombreuses recherches, et que le scénario s’inspirait de plusieurs témoignages qui lui donnent cette force et ce réalisme. Mais le sujet est sensible surtout vis-à-vis des victimes, et il était donc essentiel pour moi qu’elles ne puissent pas se sentir trahies. Alors, j’ai préféré me concentrer sur la vérité du personnage qu’on me donnait à jouer.

Gabriel se transforme au cours du film…
Tout s’écroule petit à petit, et lui va vers la lumière. Je crois que s’il ne s’était pas confronté à ses démons, il aurait sombré dans un abîme morbide. Mais Gabriel entre en lutte et prend l’ascendant sur ce qui lui est arrivé. Or, malheureusement, on sait que le cerveau a tendance à mettre un voile sur les faits trop douloureux, plongeant ainsi les victimes d’actes atroces non pas dans l’oubli mais dans le silence.

Propos recueillis par Diane Ermel
(en mars 2013 à l'occasion de la première diffusion)

LE SILENCE DES ÉGLISES

Il est fréquent que les familles ne voient rien du drame qui se déroule parfois sous leur propre toit. Un homme de bien s’infiltre. Il est tellement sympathique et intelligent… Un bon exemple pour un garçon d’une douzaine d’années !

Souvent, dans les familles catholiques, c’est ainsi que le prêtre s’immisce dans la maison de la proie qu’il a repérée. Une porte parfois laissée grande ouverte par l’absence du père. Ces prédateurs sexuels n’ont d’autre but que de s’emparer de l’enfant et, pour cela, ils n’hésitent pas à endormir la vigilance de toutes personnes susceptibles de s’interposer. « Dans le film, on le montre bien, la mère ferme elle-même la porte de la chambre du fils », explique Sophie Révil. « Quand Gabriel se renferme sur lui-même, elle ne comprend pas et cherche des explications auprès du père Vincey. Le piège fonctionne. »

Des années plus tard, une fois devenue adulte, on peut se demander pourquoi la victime n’en veut pas à ses parents. Robinson Stévenin explique : « Dans le film, Gabriel s’en veut tellement à lui-même… En vouloir à sa mère, se serait la culpabiliser et rajouter de la souffrance au malheur. Son combat ne se situe pas contre sa mère. Il sait qu’elle n’a rien pu voir, et que le père Vincey l’a manipulée autant qu’il l’a manipulé lui-même. Arriver à confondre son bourreau et son complice et les traduire en justice, voilà son vrai combat. »

Au sein des familles ultracatholiques, on ne parle pas « de ces choses-là ». C’est honteux. Thierry Debroux, qui a recueilli de nombreux témoignages pour écrire le scénario du film, explique : « Lorsque Franck et ses six frères, tous abusés par le même prêtre, ont réuni leurs parents pour les en informer, exactement comme dans le film, la mère est retournée à la cuisine, a servi le poulet et leur a dit “à table !” » La compassion ne devait pas être au menu.

« Au silence des enfants s’ajoute le silence des parents. La plupart du temps, une fois les faits connus, les parents des victimes, très catholiques, ne veulent pas porter plainte. Ils vont appeler un vicaire ou l’évêque pour signaler les abus “pour que ça cesse”, mais l’esprit de corps des catholiques est le plus fort. Si un prêtre est en faute, c’est toute l’Église qui est humiliée et salie. Il faut laver son linge sale en famille, sauver l’honneur et surtout ne pas nourrir l’anticléricalisme et le déclin de l’Église. La loi du silence, à nouveau », explique Sophie Révil.

Diane Ermel

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