FEMMES INVISIBLES, SURVIVRE DANS LA RUE
Le Monde en face

Femmes invisibles, survivre dans la rue

Documentaire - Mardi 14 février 2017 à 20.45

Quarante pour cent des sans-abri sont des femmes. Deux SDF sur cinq. De plus en plus nombreuses, personne ne les voit, ou si peu. Elles se rendent parfois invisibles, à cause des risques d’agression, plus grands quand on est une femme. Comme tant d’autres, Myriam, Barbara, Katia et Martine tracent leur route et essaient de s’en sortir.


Rupture, divorce, accidents de la vie… À Paris, elles seraient 7 000 à vivre dans la rue. Leur situation est souvent plus précaire et dangereuse que celle des hommes : alors, capuche vissée sur la tête, elles se rendent invisibles. « Il faut avoir l’instinct de survie dans la rue… Je me camoufle, pour éviter d’avoir des soucis… et on se réchauffe au mieux qu’on peut », déclare Myriam, 39 ans, sans domicile fixe depuis un an. Elles dorment dans des lieux protégés : parkings de grands magasins, sous-sols, squats, cages d’escaliers… Elles ne se maquillent pas, ou plus, pour ne pas devenir des proies.

Les dérives qui mènent à la rue sont parfois floues, non avouées. Barbara, 26 ans, sans domicile fixe depuis un an, vit exclusivement de la mendicité. « Mes parents m’ont mise dehors à 14 ans… j’ai fait des petites conneries… » À la question « Tu vas faire quoi de la petite monnaie ramassée ? », Barbara répond : « Je vais me droguer… Ça nous occupe, ça fait passer le temps, et c’est vrai qu’on se fout plus du regard des autres, du mépris, de l’ignorance… » La jeune fille est dépendante à la drogue dure — échappatoire, engrenage… Elle a tout perdu. « J’ai fait de mauvais choix, des mauvaises rencontres, 80 % de ma faute… », mais elle trace sa route ; et veut s’assumer. Jusqu’à quand et jusqu’où ?

FEMMES INVISIBLES, SURVIVRE DANS LA RUE

© L2 Films

Dans de nombreux cas quinquagénaires, elles basculent lors d’une rupture, souvent affective, qui leur fait perdre leur appartement et leurs repères. « Ça fait trois, quatre ans que je n’ai pas vu mes enfants, il y en a un qui a 14 ans, et l’autre 18 ans. J’ai eu une rupture avec mon ex-mari et ma famille… » raconte Martine, 57 ans, sans domicile fixe depuis cinq ans. Martine touche le RSA et survit avec 500 euros, alors elle ne désespère pas. Parfois, elle aime reposer ses pieds et sa tête dans le bus, elle qui marche parfois des jours et des nuits entiers sans but précis : « On se laisse guider par le bus. Comme ça, ça fait à peu près une heure de trajet et ça vaut quand même la peine d’avoir chaud… En général, les chauffeurs, ils disent rien… le métro est plus difficile. On finit par avoir peur, il y a des hommes qui sont pénibles. »



Des refuges pour poser un temps sa souffrance

Être dans la rue, c’est être sur ses gardes. La survie en éveil. « On dort pas assez, on perd la notion du temps. » Après ses longues errances de dix à quinze kilomètres dans la ville, Martine trouve parfois refuge à La Maison dans la rue, un centre d’action sociale. « On se plaît un peu mieux après. Il faut garder l’estime de soi… Il vaut mieux croire qu’on peut gagner… » Elle garde le sourire. Barbara, elle aussi, essaie une fois par semaine de faire sa toilette aux bains-douches municipaux. Il y en a dix-sept à Paris. « C’est le seul moment où on peut prendre soin de nous. Ça me remet les idées au clair… » Myriam a toujours besoin de se refaire une beauté dans le Mobil’douche, le camping-car d’une association qui sillonne Paris et distribue aussi des produits d’hygiène : « Je viens pratiquement tous les jours… Femmes dans la rue, on est dans l’insécurité… Je vais ressortir et je vais être plus relax… » De l’estime, de l’espoir, ces femmes dans la galère viennent poser leurs souffrances dans les structures d’accueil, les refuges, la Halte Femmes du XIIe, pour se retrouver, se ressourcer et surtout ne pas sombrer.

Certaines d’entre elles trouvent l’issue de secours des mois ou des années plus tard, reprennent pied et s’en sortent. Après dix ans passés dans la rue, une vie très abîmée — prostitution et drogue, de l’acide jeté en pleine figure, un œil en moins… —, Katia, cette ancienne toxico de 32 ans prise d’une overdose de ras-le-bol, a quitté la rue depuis un an. Mère aujourd’hui d’un cinquième enfant, elle se sent cette fois-ci vraiment bien.

Martine, elle, a enfin trouvé un refuge grâce aux Petits Frères des pauvres, qui aident les gens en situation d’errance. « C’est tellement formidable d’apprécier d’être au chaud, et pouvoir se dire qu’en plus on ne trimballe pas ses affaires toute la journée, c’est bien aussi. Je me demande si la vie ne va pas changer. » Myriam galère toujours, mais garde espoir : « Dès que j’ai eu ma fille au téléphone, dès que j’ai entendu sa voix, ça m’a reboostée, je ne vais pas baisser les bras. » Barbara, quant à elle, a quitté Paris, mais se retrouve toujours dans la rue. Et c’est les yeux embués qu’elle déclare : « J’aimerais qu’on me prenne par la main… » 



Françoise Jallot



FEMMES INVISIBLES, SURVIVRE DANS LA RUE

Documentaire

Durée 60 min

Auteure-réalisatrice Claire Lajeunie


Production L2 Films, avec la participation de France Télévisions


Année 2015

 

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