Conquérir le ciel

Voler, le plus vieux rêve de l’humanité. Pour comprendre comment les hommes ont pu, en une centaine d’années, conquérir le ciel, Matthieu Barreau, ingénieur et professeur agrégé de construction mécanique à l’IUT de Cachan, part, en compagnie de passionnés, sur les traces des disciples d’Icare, des balbutiements incertains de l’aviation aux innovations futures. Pour commencer son enquête, il prend de l’altitude en douceur avec l’aérostier Philippe Buron Pilâtre. Ce baptême en montgolfière lui permet de ressentir les mêmes sensations que les premiers hommes volants de la fin du XVIII^e siècle. En 1782, les frères Montgolfier découvrent que l’air chauffé est plus léger que l’air ambiant, ce qui permet à un ballon de s’élever. Ces précurseurs ont ouvert la voie de la conquête du ciel que les pionniers du « plus lourd que l’air » vont poursuivre un siècle plus tard. Farouchement obstiné, l’Allemand Otto Lilienthal se consacre très jeune à l’étude du vol des oiseaux et consigne ses observations dans un ouvrage. Accroché à des ailes en bois et en coton tissé, il effectue près de 2 000 vols planés sur quelques mètres entre 1891 et 1896. Des tentatives qui lui seront fatales mais qui mirent en évidence la portance aérodynamique.

Vers le rêve d’Icare

Pour expérimenter ce principe physique fondamental, Matthieu va se lancer dans le vide avec Pierre Rémy, concepteur d’ailes et pilote d’essai, car « le parapente est aujourd’hui ce qu’on fait de plus simple pour voler ». Puis notre guide se penche sur les travaux du fantasque ingénieur français Clément Ader, dont on peut encore admirer l’un des engins motorisés au musée des Arts et Métiers de Paris. « On a vraiment affaire à une machine d’ingénieur, totalement inspirée par le biomimétisme, explique Cédric Mastellari, médiateur scientifique au Conservatoire national des arts et métiers. La roussette des Indes est le modèle qu’a choisi Clément Ader. » Le 9 octobre 1890, il effectue le premier décollage motorisé de l’histoire. Limitées par sa vision naturaliste du vol, les recherches d’Ader tournent court. On lui doit toutefois le mot « avion », tiré du latin avis qui signifie oiseau.

Au début du XX^e siècle, voler demeure le grand défi que vont relever les frères Wright. Ces deux fabricants de vélos de l’Ohio travaillent à la construction de planeurs, avant de motoriser leur engin, baptisé Flyer. En 1903, celui-ci réalise un premier vol d’une durée de douze secondes. Quelques années plus tard, ils font une démonstration de pilotage moderne devant le public français à bord de leur Flyer amélioré. Outre la maîtrise de l’axe de tangage, pour monter et descendre, et de l’axe de lacet, pour tourner à plat, les frères Wright ont l’idée d’ajouter un manche afin de contrôler l’axe de roulis, en agissant sur le gauchissement de l’aile. « Ç’a été la révolution, puisque jusque-là tout le monde tournait à plat avec juste une gouverne de direction, souligne Jean-François Jacquelin, pilote instructeur et spécialiste de l’aviation pionnière. C’est toujours le même principe qui nous permet de tourner sur les avions actuels. La physique et la mécanique des fluides n’ont pas changé. »

L’aviation naissante va recevoir l’appui scientifique d’un illustre ingénieur. En 1909, Gustave Eiffel fonde un laboratoire pour tenter de dompter le vent, son pire ennemi. « À cette époque, l’aérodynamique n’était pas étudiée et Eiffel va avoir une vraie approche scientifique et d’ingénieur pour pouvoir expérimentalement comprendre ce qu’est le vent, raconte Benoît Blanchard, directeur du laboratoire. Eiffel va faire la première soufflerie moderne. » En travaillant pour réduire la résistance de l’air, autrement dit la traînée, il fait entrer l’aviation dans l’ère de l’ingénierie aéronautique…

Amandine Deroubaix