Envers et contre Trump

Lorsque, quelques semaines après son accession au pouvoir, Donald Trump signe son décret anti-immigration, la vague de protestation est immédiate. Le « travel ban », qui interdit l’entrée sur le territoire américain des ressortissants de cinq pays musulmans, est rapidement suspendu par les tribunaux pour cause d’illégalité. « Ce premier mouvement de résistance pacifique réunissait toutes sortes de gens : scientifiques, juristes, associations… raconte Katrina Vanden Heuvel, directrice de la rédaction de The Nation. Ils ont résisté contre ce qu’ils pensaient être contraire aux valeurs américaines. »

Même au sein des plus hautes sphères de l’État, la révolte gronde. Le canal dissident, qui permet à des diplomates américains d’envoyer des notes confidentielles au ministère des Affaires étrangères pour contester la politique du président, connaît une activité sans précédent. « En quelques jours, ce sont des centaines de diplomates américains qui ont utilisé le canal dissident pour protester contre le “travel ban”, dévoile l’ancien agent de la CIA John Kiriakou. Nous n’avions jamais vu ça de toute l’histoire diplomatique des États-Unis ! » Depuis, une version amputée du « travel ban » a été validée par la Cour suprême. Mais, partout sur le territoire, la résistance s’organise contre les décisions controversées d’un président impatient de mettre en place son programme de campagne.

Résistance aux frontières

À la frontière mexicaine, le projet d’édification d’un mur de 3 400 kilomètres entre les deux pays suscite de grandes inquiétudes. Pour certains de ceux qui vivent là depuis longtemps, il est tout simplement inutile et irréalisable, car son coût atteindrait plus de 20 milliards de dollars… Propriétaire de terres se trouvant sur le tracé du mur, Javier Mancha croit d’abord à l’importance d’aider ceux qui sont venus ici « trouver une vie meilleure », comme des millions de personnes en situation irrégulière dans ces États du Sud. Sa façon à lui de résister consiste à donner de la nourriture aux clandestins. « Trump ne comprend pas les règles et les traditions des États-Unis. »

Ennemi des médias, critiqué pour son interventionnisme militaire brutal, Donald Trump repousse toujours plus loin les limites : une procédure de destitution a été lancée par les adversaires du président à la suite du limogeage du directeur du FBI, chargé d’enquêter sur les collusions d’intérêt entre l’équipe de campagne de Trump et la Russie. « Trump s’est impliqué de lui-même dans l’enquête du FBI, explique le journaliste politique du Time Magazine Michael Scherer. Depuis, il est accusé d’avoir fait obstruction à la justice. » « Même au sein du parti des Républicains, certains élus sont furieux, raconte John Kiriakou. Ils n’arrivent pas à croire que Trump ait pu faire une chose pareille… C’est la première fois de toute l’histoire des États-Unis qu’un directeur du FBI est viré sans raison. »

Donald Trump est devenu surtout, pour beaucoup d’Américains des classes moyennes et populaires, celui qui menace leurs droits vitaux. Les liens que les mouvements d’extrême droite entretiennent avec le président leur ont donné une grande liberté d’action. Les Afro-Américains constatent désormais la recrudescence des violences envers leur communauté, comme lors des manifestations de Charlottesville, et se prémunissent contre les agressions. Les ventes d’armes ont explosé : « Ce n’est pas une peur irrationnelle, témoigne un instructeur de la National Rifle Association (NRA). On voit tous les jours la situation se dégrader. Et maintenant il est temps qu’on se protège. »

Défense du droit à l’avortement

Dans les États du centre, les médecins qui pratiquent l’avortement et leurs patientes vivent dans la terreur d’être tués par les groupuscules « pro-life » et craignent l’abrogation pure et simple de la loi. Les plannings familiaux se battent au quotidien pour son maintien.

La remise en question de l’Obamacare menace 23 millions d’Américains, comme Brian, 48 ans, qui souffre d’une grave maladie du foie : « Il me restait trois jours à vivre. Si l’Obamacare n’avait pas existé, je n’aurais pas pu me payer une assurance santé. » Alors, avec des milliers d’autres, il manifeste sans relâche. L’abrogation de la loi permettrait au gouvernement de Trump de financer une importante baisse des impôts pour les plus fortunés.

L’Amérique écologiste a décidé d’aller contre la décision de retrait de l’accord de Paris sur le climat et des États poursuivent leur politique en faveur des énergies renouvelables. Mais l’avenir de certaines communautés indiennes est directement menacé suite à l’approbation par Donald Trump de la construction de deux pipelines passant sur leur territoire.

« Sacrifier les pauvres pour que les riches aient encore plus est tout simplement impensable dans le pays le plus riche du monde », s’indigne le démocrate Al Green, premier député du Congrès à avoir demandé la procédure d’« impeachment ». Un processus incertain… En attendant, la résistance se mobilise pour les prochaines élections destinées à renouveler les membres du Congrès, en 2018.

Anne-Laure Fournier