NASSER, DU REVE AU DÉSASTRE
La Case du siècle

Nasser, du rêve au désastre

Documentaire - Dimanche 20 novembre 2016 à 22.35

C’est un portrait tout en nuances que brosse Ben Salama du charismatique président Nasser, des années 1950 à sa mort brutale, en 1970. Nourrissant son film de nombreux témoignages, il retrace les grands combats qui furent les siens, du développement économique de l’Égypte au rêve inabouti d’une grande union des nations arabes.

En juillet 1952, un coup d’État militaire destitue le roi Farouk. C’en est fini pour l’Égypte de plusieurs siècles de tutelle étrangère, celle des Ottomans, puis celle de l’empire britannique. L’année suivante, la république est proclamée. Le nouveau président, le général Naguib, choisit comme Premier ministre le lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser, le leader des officiers libres qui ont renversé la monarchie corrompue. Partisan d’un parti unique, Nasser s’oppose vite à Naguib qui milite pour l’instauration d’une démocratie parlementaire. À l’automne 1954, Nasser scelle avec les Anglais un accord sur l’évacuation de leurs derniers soldats du canal de Suez. À Alexandrie, où il prononce un discours enflammé, une foule en liesse l’acclame, reconnaissant en lui le gardien d’une souveraineté nationale retrouvée. L’homme qui tire sur lui à huit reprises, en vain, au cours de ce moment d’euphorie populaire ne se doute pas que son échec vient de transformer la victime en héros. Accusé d’être mêlé à la tentative d’assassinat, Naguib est placé en résidence surveillée : Nasser a désormais les coudées franches à la tête de l’État. Pendant près de trois décennies, le « raïs » réprime tous azimuts : les partisans de son prédécesseur qu’il évince, les Frères musulmans — la plus structurée des organisations politico-religieuses du pays —, les communistes qu’il emprisonne et l’armée, qui fait les frais de spectaculaires purges. « Il agit en dictateur absolu, rappelle l’écrivain Gilbert Sinoué*. Il va rayer, gommer toute forme d’opposition et créer les premiers camps, des camps on n’oserait pas dire de concentration, appelons ça des camps de prisonniers. »

Un rayonnement au-delà des frontières

Élu triomphalement à la présidence de la République en juin 1956, Nasser veut faire entrer son pays dans une nouvelle ère. En maître absolu, il impose ses réformes. Dans la sphère sociale, il promeut le contrôle des naissances et interdit la polygamie. Avec l’aide des Soviétiques, ravis de contrer l’influence des États-Unis dans la région, il modernise l’appareil industriel et équipe l’armée. Il nationalise aussi à tour de bras, notamment le canal de Suez, et lance de grands travaux comme la construction du barrage d’Assouan. Convaincu que pour jouer un rôle sur la scène internationale, le monde arabe doit s’unir, le Raïs fait naître un immense espoir populaire au Moyen-Orient en scellant en 1958 une union avec la Syrie. En pleine guerre froide, son leadership au sein des pays non alignés offre à l’Égypte une place à part dans le concert des nations. Mais son rayonnement grandissant inquiète de plus en plus les puissances occidentales — France et Grande-Bretagne en tête —, le voisin Israël et les monarchies voisines, de l’Arabie Saoudite à la Jordanie. Pourtant, c’est avec un art consommé qu’il va parvenir à transformer en victoires politiques les cuisantes défaites militaires que lui inflige l’armée israélienne dans le Sinaï, en 1956, et pendant la guerre des Six-Jours, en 1967. Lorsque Nasser succombe, à 52 ans, à une crise cardiaque, l’Égypte est un pays ruiné, la question palestinienne, explosive, l’intelligentsia égyptienne a disparu et le rêve du panarabisme s’est envolé. « S’il avait joué le jeu démocratique, il aurait été grand, car il jouissait d’une réelle popularité, note l’écrivain égyptien Alaa El-Aswany. Le problème, c’est que Nasser, qui était le plus loyal et le plus honnête des dirigeants, avait créé une machine répressive. Ceux qui lui ont succédé ont trouvé là un dispositif prêt à être utilisé. » En s’appuyant sur l’État policier qu’il lui a légué, son successeur Anouar El-Sadate va endosser à son tour l’habit de dictateur. Les islamistes peuvent avoir le champ libre pour redevenir une force politique dominante…

Christine Guillemeau

* Auteur notamment d’une biographie du président égyptien : L’Aigle égyptien — Nasser (éd. Tallandier).

NASSER, DU REVE AU DÉSASTRE

Documentaire

Durée 52 min

Auteur-réalisateur Ben Salama

Production Kuiv Productions, avec la participation de France Télévisions

Année 2016

 

#lacasedusiecle

Nasser, du rêve au désastre est en compétition, dans la catégorie Documentaires, à la 27e édition du Festival international du film d’Histoire de Pessac, qui se tient du 14 au 21 novembre 2016.

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