GRANDEURS NATURE
Grandeurs nature

Le Peuple des forêts

Documentaire - Inédit - Samedi 24 décembre 2016 à 14 heures

« Grandeurs Nature » propose une après-midi exceptionnelle au cœur de la nature sauvage avec la diffusion de la série Le Peuple des forêts. En trois épisodes de 52 minutes, Jacques Perrin et Jacques Cluzaud racontent l’histoire naturelle du continent européen et des espèces animales qui l'ont peuplé, de la fin de la dernière ère glaciaire jusqu’à nos jours. En retraçant 20 000 ans du point de vue de la nature, ils proposent une histoire commune à l'homme et aux bêtes sauvages, de l'harmonie à la séparation… Explications avec Jacques Perrin et Stéphane Durand, conseiller scientifique et coscénariste.

Cette série documentaire inédite n’est pas, comme on pourrait le penser au premier abord, une version longue du film Les Saisons, sorti en salles en janvier 2016. Quels sont leurs liens ?
Jacques Perrin
: Nos films et les séries télévisées qui leur sont associés ont des démarches à la fois très différentes et complémentaires. Comme Le Peuple migrateur et Océans, Les Saisons était avant tout un spectacle et n’avait pas pour ambition d’être didactique, d’apprendre quelque chose au public qui se rend au cinéma. À l’inverse, Le Peuple des forêts est l’occasion, durant près de trois heures, d’allier spectacle, information et pédagogie, de prendre le temps d’expliquer en détail pourquoi le climat s’est tranformé depuis 20 000 ans en Europe, comment la forêt a remplacé la steppe glacée, comment, à son tour, la forêt a été attaquée par l’homme, etc. Bien sûr, films et séries sont le fruit d’un seul et même travail. Il nous a fallu faire intervenir énormément de disciplines scientifiques, rencontrer beaucoup de spécialistes, des historiens, des naturalistes, des archéozoologues, des philosophes de l’environnement, etc., croiser leurs points de vue complémentaires sur une thématique extrêmement vaste... Mais, dans le film, cette masse d’informations est souterraine ; dans la série, on la fait remonter à la surface.

Quelle est l’origine du film Les Saisons et de la série Le Peuple des forêts ?
Stéphane Durand
: Au début, il y a une question que nous nous sommes posée. Après avoir parcouru le monde un certain nombre de fois et en tous sens pour Le Peuple migrateur et Océans, nous nous sommes demandé s’il était possible de réaliser un film aussi spectaculaire sur l’Europe sauvage, en somme, de faire sur terre ce que nous avions fait dans les airs et dans les mers. Il est vite apparu que c’était quasiment impossible. Ou plutôt possible à une condition : remonter le temps, se projeter 20 000 ans, 10 000 ans, 5 000 ans en arrière. D’où cette manière d’aborder les choses de façon historique, qui n’était pas celle des précédents films.

Chacun de vos films semble marqué par des défis, principalement techniques mais pas seulement. Quels ont été ceux que vous avez eu à relever cette fois ?
S.D.
: Ils étaient de plusieurs sortes. Le premier, je viens de l’aborder : faire revivre le passé, retrouver des paysages disparus, ceux de l’âge de glace, puis ceux de la forêt ancienne. Pour cela, il a fallu beaucoup voyager à travers toute l’Europe. Le nord de la Norvège ressemble aux steppes glacées d’il y a 20 000 ans. Dans l’est de la Pologne, la forêt de Białowieża, avec ses bisons, ses chevaux sauvages les plus proches génétiquement du cheval tarpan, ressemble à ce qu’on trouvait il y a 8 000 à Paris, Berlin ou Rome : la forêt primaire, profonde, peuplée d’arbres noueux qui montent très haut, qui vivent très vieux, qui restent debout même une fois morts et abritent encore une diversité de vie incroyable. C’était comme reconstituer les bribes du passé, assembler les pièces d’un puzzle. Mais il faut être franc, nous avons fait le tour des derniers lambeaux de cette nature sauvage, des derniers confettis…
J.P. : Un autre défi découlait du premier : décentrer le point de vue sur ces milliers d’années que nous voulions raconter. Adopter le point de vue de la nature sauvage elle-même, dans laquelle l’homme, à l’époque des chasseurs-cueilleurs, a une place parmi d’autres. Au fond, raconter une histoire commune aux hommes et aux animaux. Nous avons vécu avec eux. Nous avons partagé les mêmes territoires. Avant de les en chasser.

À propos de point de vue, dans un texte du dossier pédagogique qui accompagnait la sortie des Saisons, vous évoquiez une coutume chez les Iroquois consistant, au début de chaque palabre, à nommer celui qui, parmi eux, parlerait au nom du loup. Et vous demandiez « Qui, aujourd’hui, parlera au nom des arbres et des papillons, des crapauds et des loups, des éléphants et des baleines, au nom de tous ces encombrants et ces insignifiants ? »...
J.P. : J’aime beaucoup cette histoire. Oui, qui parlera au nom du loup ? Il ne s’agit évidemment pas de le faire parler ou de parler à sa place. Mais bien de tenir compte de son point de vue. Qui n’est peut-être pas le nôtre. Qui est peut-être contraire au nôtre. Mais il y a la possibilité d’un dialogue. D’une certaine harmonie.

Techniquement, avez-vous rencontré des problèmes inédits au cours du tournage de ce film ?
S.D.
 : Bien sûr ! À chaque film, nous nous intéressons à des animaux particuliers, alors il nous faut des moyens chaque fois particuliers. Nous voulons être parmi eux, au cœur de leurs mouvements, qu’ils nagent comme les dauphins, qu’ils volent comme les oies ou – cette fois – qu’ils courent comme les chevaux, les loups, les cerfs, les sangliers. Pour suivre une meute de loups, être des loups parmi les loups, slalomer entre les arbres, sauter au-dessus des troncs morts, il n’existait pas de moyens techniques au cinéma. Alors, nous avons inventé une machine pour cela ! Mais le défi technique en lui-même n’est rien s’il ne sert pas à restituer aux spectateurs la force de vie de ces animaux, s’il ne permet pas de sentir leur souffle, de saisir leur regard.

Ces animaux, on l’imagine, et en particulier ces loups, ne sont pas n’importe quels animaux…
S.D.
 : C’est vrai. Ils ne sont pas tout à fait sauvages, sinon on ne pourrait pas être aussi proches d’eux. Ils ne sont pas dressés pour autant. Cela n’aurait aucun intérêt de leur faire exécuter des mouvements quasiment automatiques. Nous avons utilisé les techniques d’imprégnation qui ont été théorisées notamment par Konrad Lorenz. Ce sont des animaux qui ont grandi avec nous et nous considèrent comme des congénères, des membres de leur meute. On ne leur demande rien, sinon de nous accepter et de vivre leur vie. Ils jouent, mangent, dorment au milieu de l’équipe. Quand ils ont envie de hurler, de courir, ils font comme ils veulent. À charge pour les cameramen d’être à l’affût, de se tenir prêts et de saisir cette vie, une course, un jeu, un combat…

Vous avez parlé d’harmonie, tout à l’heure… Il se dégage de cette série une certaine nostalgie d’une harmonie perdue, non ?
J.P.
 : Sans doute. Même si je crois que c’est indépendant de toute volonté de notre part. Quand on considère ces étendues parcourues jadis par toutes ces espèces sauvages, et même jusqu’à nos campagnes pas si lointaines – ça vivait, ça criait, ça galopait… –, eh bien, on peut difficilement ne pas ressentir une certaine mélancolie.
S.D. : Il y a cependant des notes d’espoir. C’est ce que nous tentons de dire à la fin du troisième épisode. Le retour du « sauvage » n’est pas un fantasme. On observe à nouveau des espèces qui avait disparu depuis 50 ou 100 ans. Pour les ours, les loups, les lynx, les cerfs, les bouquetins, les chamois, les mouflons, les vautours, les cigognes, les loutres, les castors…, les nouvelles sont plutôt bonnes. En revanche, du côté de cette petite faune de nos campagnes qui s’était adaptée au paysage que nous avons mis en place il y a 3 000 ans, les grenouilles, les alouettes, les papillons, etc., ça va encore plutôt mal. L’ours revient, l’hirondelle est menacée. C’est tout le paradoxe…
J.P. : Pour autant, ces films, aussi bien dans l’écriture que dans la réalisation, ne considèrent pas cette vie sauvage comme révolue. Même si les paysages et la biodiversité sont profondément modifiés, il n’est pas trop tard pour inverser certaines évolutions si nous le voulons vraiment, si la volonté des citoyens et celle des politiques se conjuguent. En ce sens, la mélancolie, active, optimiste est toujours préférable aux lamentations, qui font baisser les bras. Ici et là, des signes font penser que les enfants de nos enfants auront un environnement moins triste que le nôtre.

Propos recueillis par Christophe Kechroud-Gibassier

Une série documentaire inédite de Jacques Cluzaud et Jacques Perrin
Écriture et commentaire : Stéphane Durand  
Voix du commentaire : Jacques Perrin
Musique originale : Bruno Coulais
Une production Galatée Films, avec la participation de France Télévisions