MIRAGE S01

Interview de Marie-Josée Croze

Dans Mirage, Marie-Josée Croze interprète Claire, une femme prête à refaire sa vie après des années de dépression. Comment construire la fragilité d’un personnage dont la vie s’accélère soudainement ? Les secrets de l’actrice canadienne.

Comment comprenez-vous le titre de la série ?
Un mirage, c’est quelque chose qu’on vise, qu’on voit apparaître au loin et qui nous attire, mais ce n’est qu’une illusion, il n’y a rien derrière, ce n’est qu’une projection mentale. Dans le cas du personnage de Claire, quand l’histoire commence, elle passe sa vie à être obsédée par des mirages. Mon personnage a vécu deux drames : elle a perdu l’amour de sa vie, le père de son enfant, et ensuite elle a subi des déconvenues dans son travail, elle se sent responsable d’une catastrophe industrielle. Elle s’est retrouvée sans rien. La série commence sur sa reconstruction, mais on imagine que derrière ça il y a des années de combat dans sa vie de femme.

Dès le début, on comprend que Claire est marquée par la disparition de Gabriel, peut-on dire que l’absence du personnage de Clive Standen définit le vôtre ?
Tout à fait ! Quand on perd quelqu’un de cher, plus on aime cette personne, plus on a du mal à accepter qu’elle soit partie, surtout quand elle n’a pas laissé de traces. Elle le voit partout, mais à chaque fois il s’agit d’un « mirage » ! Quand j’ai lu le scénario, j’étais très émue par l’histoire d’amour. Il est pour moi assez évident que Claire croit encore à cet amour-là. Je sais ce que cela représente de vivre avec quelqu’un dans sa tête, quelqu’un qui n’est plus là. C’est le rêve secret de tout le monde que de tomber sur les gens disparus qu’on a aimés. Claire se raccroche à l’amour fou qu’elle a pour leur fils, je m’en suis servie comme point d’appui. J’utilise les rapports fusionnels, presque amicaux, qu’elle a avec lui, comme un prolongement de son amour pour Gabriel. Je veux qu’on comprenne qu’elle l’a eu jeune, qu’elle l’a élevé seule pendant un certain temps. Cette proximité est essentielle pour rendre compte a posteriori des épreuves qu’ils ont vécues ensemble.

Vous qui avez tourné des deux côtés de l’Atlantique, quelles différences avez-vous observées entre les productions européennes et nord-américaines ?
C’est plus une question de projet. Je ne travaille pas de la même façon pour un film d’auteur ou pour un film disons plus commercial. Ce n’est pas la même grammaire. Les metteurs en scène nord-américains laissent généralement davantage de place aux comédiens. On est dans un processus de collaboration pour que la scène soit le plus efficace possible. Dans les films d’auteur français, on cherche le sens, le travail est plus référencé, le comédien est au service du texte. Cela change la façon de travailler : d’un côté l’énergie, de l’autre la réflexion. Même si je caricature volontairement, ce n’est pas aussi net que ça, chaque metteur en scène et chaque œuvre est unique.

MJCOù situeriez-vous Mirage, plutôt dans l’« énergie » ou dans la « réflexion » ?
Mirage est une série en six épisodes, ce qui laisse le temps au récit d’explorer ces deux formes d’expression. On part d’une situation très mélodramatique pour basculer dans le polar, voire dans le film d’action. Le travail consiste à rendre crédible chaque instant, d’être dans une forme de réalisme, en y ajoutant des références à certains films noirs. On cherche à faire coïncider deux grammaires différentes, c’est ce qui rend ce rôle intéressant à interpréter. Nous avons tourné avec deux caméras, ce qui a demandé une certaine synchronisation et la mise en place de toute une chorégraphie. Les caméras étaient très mobiles, les acteurs participaient à la création du plan avec le chef opérateur, j’avais l’impression de beaucoup donner. Mais j’aime travailler comme ça, j’ai plus de mal avec l’attente. Sur Mirage, j’étais tout le temps sur le terrain !

Vous reconnaissez-vous dans le personnage de Claire ?
Bien sûr, oui. Un exemple évident : Claire part refaire sa vie à l’étranger, elle a l’opportunité de se reconstruire loin de son milieu naturel. Je sais ce qu’est la vie d’expatriée : j’ai moi-même quitté le Québec pour la France, j'ai saisi une opportunité qui m'a permis d’avancer. C’est pour cela que le projet m’a plu à la simple lecture du scénario. Si on a déjà des points communs avec un personnage, c’est une formidable base de travail. On ne part pas les mains vides, ça ne peut que donner des résultats intéressants. Je ne m’aventure pas sur un film ou une série quand l’histoire ne me parle pas ou qu’il n’y a rien dans le rôle qui s’accorde avec moi-même.

Vous êtes-vous inspirée d’autres comédiennes ou d’autres personnages pour ce rôle ?
Non, pas sur Mirage justement. Ça m’arrive sur certains films, mais là je suis partie de moi-même. Je voulais donner à Claire ce côté anticonformiste, seule contre tous. Louis Choquette, le réalisateur, m’a fait remarquer vers la fin du tournage qu’il ne voyait plus que Claire, c’est un des plus beaux compliments qu’on puisse faire à une comédienne. J’ai travaillé sur quelqu’un qui a eu une rupture, un choc suivi d’une dépression, on suppose que sa santé mentale a été remise en question pendant plusieurs années. Il fallait faire exister tout ça au moment où sa vie s’accélère et où l’intrigue de la série commence.

Production internationale, tournage en anglais, est-ce un plus d’être canadienne ?
Détrompez-vous ! J’ai beau être canadienne, j’ai appris l’anglais à 30 ans ! Il a fallu que je travaille mon texte avec soin. En français, je peux toujours m’en sortir ou improviser. En anglais, je n’ai pas la même liberté, je dois très bien connaître mon texte, c’est une difficulté supplémentaire. Comme je n’aime pas trop les répétitions et que je n’ai pas de technique particulière — je suis comme une musicienne qui ne sait pas lire la musique et qui fait tout à l’oreille —, tourner en anglais me demande une grande concentration.

 

Propos recueillis par Ludovic Hoarau