DASSAULT

Les Dassault, une affaire de famille

Documentaire - Inédit - Jeudi 14 décembre à 23.30

Ingénieur visionnaire, industriel avisé, dirigeant autocrate, milliardaire généreux, député paternaliste, patron de presse mièvre, homme de l’ombre timide et méfiant, homme de réseaux mettant son argent au service du pouvoir et ses avions au service de la défense nationale... Qui était Marcel Dassault, fondateur d’un empire au cœur de la République ? Jean-Christophe Klotz fait le récit d’une vie qui épouse l’histoire politique et industrielle de la France.

L’image semble un peu trop belle, mais on a envie d’y croire : un gamin, né en 1892 dans une famille issue de la bourgeoisie juive libérale, tombe amoureux de l’aviation naissante en découvrant dans le ciel parisien le Wilbur-Wright du comte de Lambert. Il en gardera pour la vie les yeux tournés vers les airs. Ce qui ne l’empêche pas de conserver résolument les pieds sur terre. Car celui qui s’appelle encore Marcel Bloch, devenu un jeune ingénieur en aéronautique, accompagne et anticipe sans état d’âme la mue rapide et irrésistible qui transforme la poétique machine volante des pionniers de l’aviation en terrifique machine violente de la guerre moderne. Sans doute une bonne partie des ambiguïtés du personnage sont-elles déjà là. Le visionnaire qui aime dessiner des courbes parfaites et imaginer de beaux avions côtoie l’industriel qui n’épargne rien pour être dans les meilleurs termes avec ses salariés (c’est un patron « social » dès le début des années 30) et avec le pouvoir politique (il est radical-socialiste sous le Front populaire), mais aussi le marchand qui entend bien prospérer dans le contexte de réarmement consécutif à l’arrivée de Hitler au pouvoir en Allemagne, en d'autres termes faire fortune sur la guerre. Sans bien voir (même les visionnaires ont leur point aveugle) ce que pourrait lui coûter cette guerre. Ceux qui font alors campagne contre le « Juif Bloch » en annoncent d’autres qui l’enverront à Buchenwald.
Mais ne transporte-t-il pas dans son portefeuille un trèfle à quatre feuilles trouvé en 1939 ? Encore une belle histoire à laquelle on a envie de croire. Protégé par le réseau communiste clandestin du camp de concentration, survivant de peu à la diphtérie, l’avionneur est finalement de retour. Il se convertit au christianisme et change de nom. Son refus farouche et obstiné de collaborer avec l’occupant pendant la guerre est le meilleur des sauf-conduits pour avoir ses entrées au gouvernement provisoire de De Gaulle. Il sera gaulliste, député jusqu’à la fin de ses jours, tout en entretenant des réseaux dans toutes les familles politiques. Dans ce domaine, on l’aura compris, il n’a pas d’autre idéologie que celle de la survie, la sienne et celle de ses affaires. Les années de réarmement lui avaient profité, celles de la reconstruction vont lui permettre de se bâtir une place d’exception dans l’ombre du pouvoir politique, qu’il finance généreusement et qui ne sera en retour jamais ingrat à son égard, confiant à la Société des avions Marcel-Dassault une part des intérêts stratégiques de la France : l’essentiel de son aviation militaire. Les affaires, la politique, l’argent... Manquait encore la presse dans l’arsenal de cet homme d’influence. Ce sera le lénifiant et sucré Jours de France, l’hebdomadaire de « l'actualité heureuse », un journal qui ne veut fâcher personne et d’où s’écoule chaque semaine le « sentimentalisme un peu bébête » (Philippe Alexandre) de son propriétaire, à des années lumière de la dureté de l’industrie de l’armement et du marigot politique... et comme pour mieux les faire oublier.
Passé le milieu des années 60, Dassault est à la tête d’un empire – et d’une fortune considérable. Le vieux monsieur élégant et à la voix aigrelette est mal à l’aise en public, se méfie de tout le monde, se confie peu, ses apparitions – toujours accompagné de son éminence grise, le général de Bénouville – sont comptées, mais c’est un personnage incontournable de la IVe République. Les gouvernements passent, Dassault reste. Il est le bras armé de l’État. À tel point que la trajectoire de sa maison épouse les évolutions de la politique étrangère de la France. Lorsque Paris est un allié privilégié d’Israël... Dassault vend des avions. Quand de Gaulle rééquilibre sa politique en faveur des pays arabes.... Dassault vend des avions. En 1973, pendant la guerre des Six Jours, Mirage arabes et israéliens s’affrontent. Deux ennemis sur terre, mais un seul maître dans les airs : Dassault. Il a le visage du capitalisme triomphant, avec ses inévitables zones d’ombre, que tout le monde semble prêt alors à accepter. Il est le « Tonton Marcel, capitaine d’industrie » du dessinateur de bandes dessinées Régis Franc, un parrain tout-puissant et intouchable. Bientôt, il se trouvera une nouvelle danseuse, le cinéma, et s’amusera à produire... La Boum ! Et puis, le 18 avril 1986, ce seront des funérailles dignes d’un chef d’État à l’Hôtel des Invalides. La République, encore une fois, n’est pas ingrate. Le patriarche, lui, a joué un drôle de tour à tout le monde, à l’État (qui siège au conseil d’administration de l’empire Dassault) et surtout à sa famille : il a filé sans désigner d’héritier. Peut-être n’y en avait-il aucun qui lui parût digne de lui succéder...

C.K.G.

Documentaire
95 minutes
Écrit et réalisé par Jean-Christophe Klotz
D'après une idée originale de Matthieu Belghiti
Conseiller historique Yannick Dehée
Commentaire dit par Éric Caravaca
Produit par What's Up Films, en coproduction avec l'INA et la participation de France 3
Avec le soutien du Centre national du cinéma et de l'image animée et de la Procirep Angoa

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