FRÉDÉRIC LOPEZ ET THOMAS PESQUET EN COLOMBIE
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Interview de Thomas Pesquet

Une nouvelle aventure pour le spationaute préféré des Français, cette fois sur la terre ferme ! Thomas Pesquet a accepté d'accompagner Frédéric Lopez au cœur de la Sierra Nevada, en Colombie, pour deux semaines d'immersion au sein d'une communauté d’Indiens Kogis. Un voyage initiatique, ponctué de découvertes et d'échanges, porteur d'un message pour le reste de l'humanité.

Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter l'invitation de Frédéric Lopez ?

Il y a deux raisons. D’abord, pour le voyage. L’idée d’aller dans un endroit difficile d’accès, à l’autre bout du monde, évidemment, ça me parlait beaucoup. C’est ce qu’on essaie de faire un peu dans l’espace : explorer, aller un peu plus loin. Et puis, je pense que ce type de voyage a un bénéfice assez net pour les populations locales. On parle de leur cause, on montre ce qui se passe. Ça peut inciter les gens à essayer de les aider.

La Colombie, les indigènes de la Sierra Nevada... Qu'est-ce que cela évoquait pour vous quand la destination vous a été révélée ?

Pas grand-chose, et tant mieux ! J’avais un peu voyagé en Amérique du Sud, plus jeune, mais jamais en Colombie. Je me représentais donc un peu ce à quoi ils devaient ressembler, ainsi que leur mode de vie, mais je n'en savais pratiquement rien. Et c’est mieux comme ça. Si on arrive avec plein de connaissances, ça biaise la découverte, on est moins surpris, on a des attentes… Moi, j’étais tout neuf. Chaque jour apportait son lot de surprises.

Comment avez-vous vécu le premier contact avec vos hôtes ?

Thomas Pesquet avec les KogisOn attendait leur arrivée dans la montagne depuis un bon moment quand on a vu, de très loin, trois petites silhouettes blanches. Au moment de parler, j’ai essayé de faire très attention, d’être très respectueux parce que j’ignorais tout d’eux : qu’est-ce qu’on peut dire ou faire sans les offenser ? De leur côté, je pense qu’ils savaient encore moins que nous à quoi s’attendre parce qu’ils ont dit, par exemple : « Comme nous, vous avez une bouche, on va donc pouvoir échanger en parlant » !
Finalement, ces trois frères ont été un peu nos guides. Ils nous ont présentés à leur famille, aux chefs de village, à leurs autorités religieuses. On les a accompagnés dans les travaux des champs… Ce voyage géographique, c’était un peu un voyage initiatique dans leurs croyances. Au fur et à mesure qu’ils s’ouvraient, ils s’habituaient à notre présence et on pouvait parler de choses un peu plus personnelles ou profondes. 

Les Kogis ont un code moral et spirituel très lié à la Terre nourricière… Comment avez-vous vécu ce rapport au monde ?

De manière très directe, puisqu’on était en immersion totale ! Ils sont très proches de la Terre, ils ne transforment pas les produits, n’ont pas vraiment de monnaie, ne font pas vraiment d’échanges. Ils vivent de ce qu’ils cultivent. C’est très proche de ce qui se faisait il y a des centaines, voire des milliers d’années. C’est vraiment à l’opposé de ce qu’on fait. Nous, on a énormément d’intermédiaires et d’étapes entre la production de la nourriture et le moment où elle arrive dans notre assiette. C’est bien de se confronter à cette réalité et d’avoir un peu l’opportunité de raccourcir cette chaîne-là. En même temps, la vraie question derrière ça, c’est : « Qu’est-ce qu’on peut adapter à une société moderne ? ». Même si on peut essayer de se rapprocher le plus possible de la Terre, je pense qu’on ne peut pas retourner en arrière, avec l’idée que chacun cultive sa propre nourriture. Il s'agirait davantage d'une attitude, d'une disposition d’esprit : si, dans sa vie, on se dit que notre nourriture vient de la Terre-Mère, alors peut-être qu’on commencera à avoir des réflexes un peu plus vertueux, à comprendre un peu plus l’impact que ça a sur la nature.

Le temps et l'espace donnés à la parole, l'échange, semblent aussi être au cœur de leur mode de vie...

Oui, c’est une société orale, et il ne faut pas sous-estimer ce que ça change par rapport à nous, c’est une différence assez fondamentale. Dans la nuhuée, par exemple, ils passent des nuits entières à se parler. Il y a beaucoup de répétitions, ce qui est difficile pour nous, au début. Mais pour eux, c’est important, car c’est la seule manière de retenir ce qui se dit. Et puis, contrairement à nous qui avons l’habitude de changer de sujet à chaque question, eux ont besoin d’en discuter longtemps pour s’assurer que c'est correct, qu’ils ont vraiment fait le tour de la question.

Comment leur avez-vous expliqué votre mission dans l’espace ? 

C’était un peu difficile, mais certains ont quand même été exposés à la civilisation occidentale et peuvent se représenter ce qu’est un avion ou un hélicoptère. J’ai utilisé des mots simples, j'ai essayé de m’inspirer de leur mythologie, notamment des êtres qui habiteraient plus loin dans le cosmos, évidemment sans m’inscrire parmi ces derniers – il se peut que certains n’aient pas compris que j’étais juste un gars normal qui avait fait un aller-retour dans l’espace, mais que je ne venais pas de l’espace ! 
On n’a malheureusement pas eu de passage de l’ISS au-dessus de la Colombie, mais je leur ai montré des photos où on voyait leur pays depuis là-haut. Je pense qu’ils nous ont un peu compris, mais pas dans les détails, de la même manière que nous, nous n’avons pas tout saisi de leurs croyances, des forces en présence… Chacun a dû garder une part d'abstraction dans ce que disait l'autre.

Après deux semaines dans les montagnes, vous descendez en ville. Le choc a l’air brutal.

Oui, ça a été difficile, et je n’en garde pas un bon souvenir. C’est paradoxal parce qu’on vient de ce monde, et on s’y réhabitue vite d’ailleurs ! Mais se retrouver sur ces routes, avec les voitures qui passent à côté, les bruits, la chaleur… C’était agressif. Et pour eux aussi, c’était désagréable, même s’ils ne le montraient pas. Il y a le regard des gens, les rires condescendants sans doute car on les prend un peu pour des ermites… Quand ils descendent, ils ne sont pas à l’abri que quelqu’un vienne les embêter et ils ont hâte de retourner dans la montagne, où c’est beaucoup plus serein et paisible. 

Vous sembliez très proche d’Antonio. Pouvez-vous nous décrire votre relation et le moment de lui dire au revoir ? 

Oui, on l’était, et c’est vrai que dire adieu est un moment singulier. On passe deux semaines à créer des liens avec les gens, à se rapprocher, à se découvrir, à se raconter… pour finir par couper tout ça, de manière assez brutale. Thomas Pesquet avec AntonioOn ne fait pas ça dans la vie normale ! Si on est honnête avec soi-même, il y a peu de chance qu’on les revoie. C’est triste pour toute la famille. Les grands essaient de garder un aspect plus solennel, mais Antonio est petit, donc plus authentique. Dans sa vie, c’est quand même un sacré événement, et il s’en souviendra longtemps. Ce gamin a toutes les qualités : il n’a pas peur, il est proche des gens, il est communicatif, super expressif, il comprenait tout très vite, se transformait en leader très facilement dans les champs… J’aimais bien passer du temps avec lui, lui dire qu’avec ses qualités il peut faire ce qu’il veut, évidemment sans interférer dans sa vie.

Si vous ne deviez retenir qu’un moment particulier de ce voyage, lequel choisiriez-vous ? 

II y a cette journée où on a participé à la construction d’un pont. On était plus d’une centaine, on a travaillé toute la journée, sous le soleil… C’était pas facile mais, au final, on a construit ce pont que je trouvais magnifique et qu’on ne voit que dans Indiana Jones, en cordes, avec un tronc… C’était très satisfaisant de ne pas rester assis, à parler. On a fait quelque chose d’utile ensemble. Avec ce pont, on a laissé un peu de nous là-bas, et peut-être penseront-ils à nous lorsqu’ils le traverseront.

 

Propos recueillis par Aline Guyard

 

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