ASTRID & RAPHAELLE

Interview croisée de Sara Mortensen et Lola Dewaere

Comment vous êtes-vous retrouvées dans cette aventure ? Et qu’est-ce qui vous a séduites dans Astrid et Raphaëlle ?
Lola Dewaere : La différence et la singularité du duo m’ont beaucoup plu. Et le fait qu’il s’agisse d’un duo femme/femme également !

Sara Mortensen : Grâce d’abord à mon agent qui lit absolument tous les scénarios ! Il y avait aussi une envie de la part de France 2 qu’on tente l’aventure ensemble. Après, jouer un personnage différent, qui prône la différence, c’est un vrai cadeau et un challenge pour un acteur. Ce qui est formidable avec Astrid, c’est que je ne pense pas comme elle, je ne parle pas comme elle, je ne me déplace pas comme elle, je ne fais rien comme elle, en fait ; et c’est génial d’être à ce point-là pas soi.

 

Vous vous connaissiez auparavant ? Aviez-vous déjà eu l’occasion de travailler ensemble ?
L. D. : Non, je ne connaissais pas Sara avant.

S. M. : Nous n’avions jamais travaillé ensemble. Nous avons été choisies chacune de notre côté et ensuite on s’est rencontrées autour de la table pour faire la première lecture du scénario. En fait, je crois que ça s’est très bien passé parce que nous sommes aussi différentes dans la vie qu’Astrid et Raphaëlle.

 

Comment définiriez-vous votre personnage ? Qu’est-ce que Raphaëlle apporte à Astrid, et vice versa ? Quel est le rôle de chacune dans ce duo d’enquêtrices pas vraiment banal ?
L. D. : Raphaëlle est une bonne pâte, une flic très intuitive, simple, honnête et entière, ce qui peut l’amener à quelques maladresses, un peu trop souvent d’ailleurs ! Astrid est une autiste, mais ça ne veut pas dire qu’elle n’a pas sa propre singularité, en raison notamment de ses passions : les casse-tête, les puzzles, les énigmes à résoudre… C’est pour cela que ce binôme, pourtant si différent, est très complémentaire. Astrid apporte un cadre à Raphaëlle, qui a des méthodes de travail très bordéliques. Elle va aussi l’aider à redorer son blason auprès de sa hiérarchie. Quant à Raphaëlle, elle donne une chance à Astrid de s’ouvrir au monde qui l’entoure malgré la violence que cela implique pour elle de se confronter aux neurotypiques. Raphaëlle la bouscule dans sa rigidité d’autiste, ça passe ou ça casse… Elle la « sort » de ses archives et veut prouver à Astrid et à son équipe qu’elle est capable de bien plus qu’elle ne le croit et très précieuse pour les enquêtes. Au début, c’est un rapport très intéressé et très opportuniste que Raphaëlle établit avec Astrid et puis, très vite, une amitié sincère et très forte va naître entre ces deux femmes.

S. M. : Raphaëlle est une femme très spontanée, très bordélique, très borderline, très intuitive et qui va jusqu’au bout des choses. Astrid, au contraire, est quelqu’un de très organisé, très méthodique, qui a besoin de points de repère en permanence et ne supporte ni l’improvisation ni l’imprévu. Elle travaille de fait « sous terre », puisqu’elle opère dans un service de documentation au sous-sol, alors que Raphaëlle est dehors sur le terrain, elle est plus « solaire ». Grâce à elle, Astrid, qui enregistre tout ce qu’elle lit, va enfin pouvoir aller sur les scènes de crime « en vrai » et utiliser ses capacités hors du commun.

 

Ça saute aux yeux : vous êtes très différentes physiquement. Était-ce une volonté de la part des réalisateurs ? Avez-vous l’impression que ça vous a aidées à construire votre personnage ?
L. D. :
Oui, je crois que c’était une volonté très nette de la part des réalisateurs, de la production et de la chaîne. Et en effet ça aide, parce que, du coup, il n’y a aucun effet miroir, donc on réussit à trouver plus facilement sa singularité dans le jeu.

S. M. : À mon avis, il y avait surtout au départ la volonté de mettre deux énergies ensemble ; le fait d’être à l’opposé physiquement, le fait d’avoir une brindille et un bulldozer, je pense que ça rajoute du punch à ce duo, qui est improbable. Et puis cette différence entre les deux permet à toutes les femmes de pouvoir s’identifier aux personnages. Le duo fonctionne hyper bien parce qu’elles se complètent totalement.

 

Vous êtes-vous renseignées sur l’autisme avant le tournage ? Le personnage d’Astrid est-il crédible ?
L. D. :
Je suis une personne très curieuse, je m’intéresse à tout, donc j’avais lu des choses sur l’autisme, mais je n’ai pas voulu faire de recherches plus précises quand on m’a proposé ce rôle. Je voulais me rapprocher du personnage de Raphaëlle et en savoir le moins possible sur l’autisme.

S. M. : Évidemment que je me suis renseignée sur cette différence cognitive, évidemment que j’ai énormément échangé avec des autistes, avec les personnes du spectre, comme on dit. J’ai beaucoup évolué avec eux. Et oui, le personnage est crédible. Il y a autant de neurotypiques et d'autistes qu'il y a d'êtres humains. Tout le monde est différent… De son côté, Raphaëlle, elle aussi, est un cliché de neurotypique, elle oublie d’aller chercher son fils à l’école, etc. Ce qu’on peut dire d’Astrid, c’est qu’elle n’a pas eu beaucoup d’efforts à faire, parce que son cadre d’évolution sociale et environnemental n’a pas été défavorable et qu’elle n’a pas eu à s’adapter à trop de choses en fait. Quand elle va être confrontée à des rapports sociaux, elle va être obligée d’apprendre à gérer. Mais c’est tout à fait plausible.

 

C’était compliqué, Lola, de se retrouver en face d’un comédien qui joue quelqu’un de « différent » ? Et vous Sara, de s’astreindre à ne pas regarder les autres dans les yeux, d’avoir à retenir vos gestes ?
L. D. :
C’est troublant au début. Mais Sara a une énergie et une force de jeu telles que, même si j’avais dû jouer les yeux bandés, je n’aurais jamais été perdue ou seule.

S. M. : C’est beaucoup, beaucoup de concentration, parce que l’essentiel pour moi était que tous les gens concernés de près ou de loin par le spectre autistique ne se sentent ni ridicules, ni trahis, ni blessés. C’était ça, la part la plus importante du travail. Je suis donc restée extrêmement concentrée, sur le fil, comme pour un exercice de funambulisme. Après, ça reste un plaisir ; ce qu’il faut avec Astrid, c’est qu’elle me plonge dans un état où je suis complètement avec elle, c’est-à-dire qu’il y a des séquences où moi-même je ne sais pas comment elle va réagir, où je la laisse faire, où je la laisse prendre le dessus dans ce qui va se passer. Le fait de ne pas regarder les gens est assez intéressant, parce que ça force à une autre écoute, à observer d’un autre point de vue, à bouger de cadre, et ça force du coup à regarder des choses que d’habitude je ne regarderais jamais : les vêtements des gens, leur gestuelle, leurs bouches, leurs mains, leurs pieds, des choses dans le décor, et finalement ça ouvre une écoute absolument incroyable puisqu’on n’est que dans l’écoute auditive et dans l’observation.

 

Comment évoluent les personnages au fil de la série ?
L. D. :
Ah non, je ne dirai rien, sinon je spoile ! C’est tout l’enjeu de la série, cette évolution !

S. M. : Les deux évoluent énormément l’une par rapport à l’autre : Raphaëlle va apprendre à s’adapter aux besoins d’Astrid et Astrid va apprendre à s’adapter à la vie de Raphaëlle. Il y a une grande écoute entre les deux femmes et une incroyable évolution de la part d’Astrid qui, jusque-là, n’a pas eu à faire d’efforts sociaux. C’est-à-dire pas de rapports, ni avec des collègues, ni avec des frères et sœurs, très peu à l’école ; elle a été très vite dans sa documentation. Elle va devoir gérer l’imprévu, surtout elle va faire de Raphaëlle, ce qui est assez étonnant et assez beau, l’un de ses points de repère. 

 

Quels souvenirs (bons ou moins bons) gardez-vous de ce tournage ?
L. D. :
J’aurais voulu plus de chocolat sur la table régie. (Rires.) Tout était parfait !  

S. M. : L’équipe technique est restée la même du début à la fin des quatre-vingts jours, et ça c’était assez magique ! Jérôme Alméras, le chef opérateur, est quelqu’un d’une douceur, d’une justesse et d’une discrétion incroyables… C’est très important pour des acteurs, un chef opérateur, et ça donne la couleur du film. On a eu des réalisateurs très différents. Sur les quatre premiers épisodes Elsa Bennett et Hyppolyte Dard, et sur les quatre suivants Frédéric Berthe. Des capitaines de bateau qui ont navigué avec beaucoup d’aisance, ce qui était formidable. J’étais très concentrée, mais on a eu quelques moments de décalage et de fous rires. Après, enchaîner quatre-vingts jours de suite avec trois jours de pause au milieu, c’est un exercice assez particulier, mais il le fallait… Je dirais que le plus dur était de rester focalisée sur Astrid et ses kilomètres de texte. Entre les moments où je lis le scénario, où je commence à travailler, où je me mets à apprendre, où Astrid se met à lire, et celui où elle est là, je peux appeler l’auteur six fois ! Je lâche sur des trucs, il lâche sur d’autres. Je cherche la précision à tout prix !

 

Avez-vous d’autres projets de fictions en vue ?
L. D. : Cette série me prend beaucoup de temps, mais je joue également un rôle récurrent de lieutenant de gendarmerie dans la collection de France 3 Crime à…, aux côtés de Florence Pernel et Guillaume Cramoisan, et puis j’ai bien entendu d’autres choses qui arrivent, mais je dois rester discrète pour le moment.

S. M. : Oui, bien sûr, mais comme ce n’est pas encore signé, motus. Tout ce que je peux dire, c’est que je serai amenée à interpréter une danseuse et, comme j’ai fait beaucoup de danse, j’en suis ravie. C’est un tout autre registre. On a mille vies en une…

Propos recueillis par Beatriz Loiseau