Infrarouge

Orphelins

Mercredi 22 septembre à 22h50

 

 

Résumé
 
On peut être orphelin de père ou de mère, quelquefois des deux, avant de devenir adulte. Une tragédie, un effondrement, et pour le reste de son existence, un manque. Le sentiment écrasant que désormais il faudra écrire l’histoire seul, privé d’ange gardien. Mais aussi parfois, pour certains, une incroyable liberté. Celle de tracer son chemin, sans protection mais sans injonctions. C’est de ce manque salutaire, de ce vide finalement heureux que ces orphelins, de tous âges, Louise, Jean-Pierre, Geoffrey, Alysia, Jean-Philippe et Céline, racontent dans ce film. 


Note d'intention de Blandine Grosjean et Delphine Dhilly, auteure et réalisatrice

 

Dans Les mots, Jean-Paul Sartre fait de la mort précoce de son père un événement providentiel. Le délestant de tout héritage, elle le condamne à être libre. Un manque heureux, un vide salutaire. 
 
Quel orphelin se risque à revendiquer, comme Sartre, une bonne étoile ? La compassion, la gêne, voire la sidération que provoque l’annonce « mon père est mort/ma mère est morte » englue dès le commencement les petits orphelins dans un récit convenu. Il préfère le silence plutôt qu’avouer qu’il a d’autres priorités, vitales : l’invitation à une boum, le contrôle de maths, le match de basket de samedi, un voyage programmé « avant ». Le chagrin, le deuil, le manque cruel et physique n’y changent rien. L’orphelin est férocement vivant, et ce contact direct avec la mort rend encore plus féroce.
 
Ma mère est morte quand j’avais 9 ans, mon père quand j’en avais 18. Ça a laissé un champ libre, démêlé d’emblée un tas de nœuds qui enserrent les autres, parfois jusqu’à leur vieillesse. Moi aussi j’ai associé mon statut d’orpheline à une grande liberté. D’emblée. Pas de barreaux, pas de filet non plus, un sentiment permanent de précarité qui m’a donné des ailes. Pas d’héritage, aucune obligation de suivre un chemin pour m’opposer, ou un autre pour faire plaisir. Mais l’avouer aurait fait de moi un monstre. Tu ne les aimais donc pas tes parents ? 
 
Quand ils sont petits, les orphelins doivent donc se couler en douce dans cette assignation au malheur. Ils évoluent dans un silence ouaté. Par pudeur ou par peur de mal faire, « on » évite d’en parler. À l’école, en famille, « on » hésite entre les traiter comme les autres gosses ou s’apitoyer. Et pour eux, il n’y a rien de plus humiliant que d’entendre chuchoter « la pauvre elle a perdu sa mère », comme une tare, alors ils évitent et cessent définitivement d’en parler, très vite.
 
Devenus jeunes adultes puis adultes, ça ne se fait plus de se présenter comme orphelin. À la question « tes parents font quoi ? » Je n’ai jamais répondu « ils sont morts ». À la question « ils ont quel âge ? » Je donne leur année de naissance. Mais grandir, devenir un adulte sans la protection de ses deux parents, ce n’est pourtant pas rien. Tous les ex-petits orphelins que j’ai rencontrés, écoutés, avec qui je me suis liée sont devenus ce qu’ils sont parce qu’il y a eu cette rupture. Traumatisante quand la mort était violente – criminelle –, marquante lorsqu’elle était due au sort – la maladie, un accident. 
 
Il y a en moyenne un orphelin par classe au collège, deux au lycée. On compte actuellement 800 000 orphelins de moins de 25 ans en France, dont 500 000 de moins de 20 ans (3 % de cette tranche d'âge). Un adulte sur dix a perdu un parent avant l’âge de 20 ans. Sept fois sur dix, il s’agit du père. Au fil des années, cela fait quelques millions de personnes qui vont grandir, vieillir avec cette absence, n’auront jamais présenté leur père ou mère à leur conjoint, donné de grand-père et/ou grand-mère à leurs enfants. Auront hérité trop tôt, ou auront manqué de soutien et se seront construit avec « ça ». Ça n’a rien d’un drame national et ce n’est pas un scandale non plus qu’aucune étude complète, qu'aucun plan d’envergure n’ait jamais été mis en place. Il n’y a pas de paroles, les jeunes orphelins sont invisibles (ils entrent dans la catégories foyer monoparental ou recomposé). Il n’existe pour le moment pas de blogs, de forums dédiés, et dès qu’ils sont majeurs, ils sortent des catégories administratives. 
 
Alors pourquoi revenir sur ce destin et vouloir relier les histoires singulières ? Parce que cela fascine et fait peur à ceux qui ne sont pas orphelins. Ils se disent que c’est le pire qui pourrait arriver. Leur arriver, qu’ils soient enfants ou parents. Mais dans une société où la mort d’un parent ne signifie plus la misère, n’implique plus l’arrivée d’une « marâtre » ou d’un beau-père abusif, la réalité est bien plus passionnante. Quand la famille éclate à cause d’un coup du sort, et non parce que les parents ont décidé de se séparer, une place se libère et la dynamique vitale se met en marche. C’est violent, triste, libérateur – après une longue maladie, une longue dépression – ou catastrophique. Mais ce n’est pas morbide. Il faut désormais compter sur soi. On devient responsable, qu’on ait 5 ou 20 ans. 
 
Les souvenirs vont se figer, et un autre espace-temps démarre. Avant la mort/Après la mort. Notre vie intime, secrète, souvent, se découpe ainsi pour l’éternité. Avant la mort de ma mère, il y avait le piano, le poisson le vendredi, les cheveux attachés. Après, il y a eu les copines à la maison, l’école buissonnière, une merveilleuse relation avec mon père. Les rôles dans la famille sont bouleversés. Des enfants quasi délinquants deviennent chef de famille, un enfant non désiré devient la prunelle du parent survivant, l’aîné responsable prend la poudre d’escampette et la petite dernière reprend l’entreprise familiale. C’est ce qu’Eisenstadt a appelé « le tremplin d’une immense énergie compensatoire ».
 
L’orphelinage, contrairement à la violence parentale, n’est pas un traumatisme. C’est une épreuve qui construit différemment. Elle extirpe l’enfant de la cohorte des autres enfants. Il n’y reviendra jamais. On reste un « ex-petit orphelin » toute sa vie. Quoi que l’on fasse, vive, une petite musique originelle rappelle qu’il n’y a rien de sûr en ce monde. Les grandes joies comme les petits désespoirs seront toujours entaillés de cette absence. Il manquera toujours une béquille, celle qui soutient ou celle qu’on accuse de nous empêcher d’avancer.
 
Même si cela est dérangeant, et que cela tient presque du tabou, devenir orphelin est  aussi une chance. C’est cette certitude dérangeante que je voudrais explorer, avec des témoins sensibles et intelligents, connus et inconnus, tous aux destins devenus exceptionnels grâce à ce manque d’un, ou de deux parents. Des orphelins qui se sont désenglués de l’histoire officielle des « pauvres petits ». Parmi tous ceux qui ont vu leur univers s’écrouler par la mort précoce d’un parent, beaucoup se sont engouffrés dans cet espace de libertés et en ont fait une force.
 
Comment, pourquoi, avec qui à leurs côtés ? Ils répondront à ces questions que l’on n’ose jamais leur poser.

 

 

Biographie de Blandine Grosjean, auteure


Journaliste, productrice, auteure de plusieurs documentaires (Nos chers paradis, coréalisé avec Emmanuel Roy, Arte, 2015, Sexe sans consentement, réalisé par Delphine Dhilly, France 2, 2018, Ménopausées, réalisé par Joëlle Oosterlinck, France 2, 2020).
 

Biographie de Delphine Dhilly, réalisatrice


Réalisatrice de documentaires de société, parmi lesquels Loin d’Irak, sur les femmes de soldats américains (52', Quark Productions, 2008), Les Lovers (52') dans une classe d’IUT de Villetaneuse (série Les Gars et les Filles, Zadig Productions et Arte France, 2012). Sexe sans consentement (52'), pour France 2 / Infrarouge, s’intéresse à la zone grise des rapports subis : sans mots, sans désir. Il a été diffusé en mars 2018. Depuis, elle a réalisé Une violence invisible diffusé sur France 5 et Orphelins pour Infrarouge

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#INFRAROUGE

 Présentation
Marie Drucker
 

52 min
 

Un film réalisé par
Delphine Dhilly

Écrit par
Blandine Grosjean 


Production
Elephant Doc

Avec la participation de
France Télévisions
et du
Centre National du Cinéma et de l’Image animée


Pôle documentaires 
société et géopolitique 
Renaud Allilaire
Sophie Chegaray
Julie de Mareuil


Directrice de l'unité documentaires  
Catherine Alvaresse

 

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Le documentaire est disponible en visionnage sur 
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À revoir sur france.tv

 

Laurence Guillopé
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