On les appelle les énarques, eux préfèrent dire élèves de l’École nationale d’administration. C’est dans cette école, à Strasbourg, que se forment la haute administration, les décideurs du CAC 40 et les futurs responsables politiques du pays.
Au fil du temps, l’école est devenue le lieu qui cristallise la rancœur contre « ceux qui nous gouvernent ». J’ai voulu comprendre qui sont les énarques et comment ils se forment. L’école, est-elle l’eldorado d’élèves méritants ou le lieu de l’entre-soi ? Instruit-elle les serviteurs de l’Etat ou est-elle la fabrique du pouvoir ?
Pour répondre à ces questions, j’ai décidé de les suivre pendant un an et demi, du premier au dernier jour de leur scolarité (janvier 2019-octobre 2020) …

Comment imaginer que la promotion allait affronter, après les attaques liées au mouvement des gilets jaunes, l’annonce de la suppression de leur école par le président de la République, puis l’épidémie de Coronavirus ? Qui aurait pu dire que cette promotion sera l’une des dernières existantes et que je filmais une école qui n’existera bientôt plus ? 

Note d'intention de Virgine Linhart

À l’automne 2018, éclate la crise des Gilets jaunes. Un mouvement social et politique informel qui s’étend rapidement dans toute la France et touche plus particulièrement les classes moyennes et populaires. Très vite, l’une des attaques des Gilets jaunes concerne l’ENA, les énarques, « cette élite qui nous gouverne » et ignore tout des « vrais gens ». J’ai donc proposé au directeur de l’ENA, Patrick Gérard, de suivre de A à Z la scolarité d’une promotion de l’ENA, afin de comprendre qui sont les énarques et comment ils se forment.
En les filmant, j’ai voulu comprendre à quel moment le formatage (principal reproche adressé aux énarques) intervient : y a-t-il un moment où les élèves de l’École nationale d’administration décrochent du réel, de ce qui les entourent, bref commencent à être « hors-sol » ?
C’est la première fois que l’ENA ouvrait totalement ses portes. Cela m’a permis de filmer des séquences qui ne l’avaient jamais été, comme les séances inaugurales, le week-end d’intégration, le choix du nom de la promotion qui leur permet de se retrouver au cours de leur carrière, et enfin l’amphi Garnison, au cours duquel chacun des élèves annonce le poste qu’il a choisi en fonction de son rang de sortie de l’ENA.
Pour la première fois également, des élèves de cette école étaient interviewés sur le long cours et aux différentes étapes de leur scolarité, y compris pendant les stages qui sont les périodes cruciales de cette formation.
On découvre ainsi dans ce film des énarques nettement plus humains que la rumeur populaire le laisse entendre, et en tous cas bien plus différents, les uns les autres qu’on le suppose.

À l’heure où la suppression de l’école vient d’être confirmée par le président de la République, regarder vivre pendant toute sa scolarité l’une des dernières promotions, permet de s’interroger : est-ce vraiment l’école qui pose problème ou le fonctionnement ultérieur des élites en France ?