
Entretien avec le réalisateur
Thomas Rault est originaire de Nantes. Ingénieur en aéronautique, il quitte Airbus en 2010 pour se consacrer au cinéma. Autodidacte, il se forme par la pratique en réalisant notamment une série de dix courts métrages documentaires sur des artisans. Tous ses films racontent des personnes à travers leurs gestes. Jardin Public est sa première série documentaire.
Pourquoi le Jardin des Plantes ?

Les jardins botaniques sont des refuges qui me font du bien depuis que je suis adolescent, une forme d’oasis où redescend la pression artérielle de la ville. J’ai fait mes études au collège du Jardin des Plantes de Poitiers (il n’y a pas de hasard !) puis dans un lycée voisin du Jardin des Plantes de Nantes. Les jours de beau temps, je cassais la croûte sur les bancs du Jardin. J’y ai aussi vécu mes premiers flirts. À l’âge adulte, quand je suis devenu papa, j’allais m’y promener avec mes enfants. Depuis le confinement, j’y vais encore plus régulièrement quand j’ai besoin de me ressourcer.
Il y a trois ans, j’ai assisté à plusieurs conversations simultanées : des jardiniers s’inquiétaient de la canicule pour la survie de leurs plantes, une assistante maternelle jouait avec des enfants au milieu des camélias pendant qu’une animatrice expliquait la dissémination des graines à une classe de primaire.
C’est à ce moment-là que j’ai compris que le Jardin était le décor de mon prochain film.
Dans un premier temps, j’étais plutôt centré sur les visiteurs, mais rapidement j’ai senti que c’étaient les coulisses qui m’intéressaient : comment ceux qui se cachent derrière les arbres prennent soin du végétal et, par ricochet, prennent soin de nous ? Et comment s’adaptent-ils au dérèglement climatique et à l’appauvrissement de la biodiversité ?
Vos films touchent à de grandes thématiques : le social, la science et l'artisanat d'art. Quelles ont été les spécificités de filmer, cette fois-ci, un service public ?
C’est depuis le confinement que j’ai pris conscience de l’intérêt public des jardins botaniques. Comme le rappelle Claire, la directrice que l’on découvre dans la série, les études scientifiques le prouvent : l’homme a besoin de végétal pour son bien-être. Et au-delà de la santé, c’est un lieu de recherche et de transmission du savoir. Dans une période où certains services publics sont malmenés, plonger dans les coulisses d’un jardin botanique permet aussi de défendre la nécessité de cette institution. Sa gratuité nous semble évidente, ce n’est pas le cas dans tous les pays. Cette gratuité, les jardiniers qui y travaillent y sont très attachés.
On entend rarement les voix de celles et ceux qui font vivre les jardins urbains. Pourquoi était-ce important pour vous de les mettre en avant ?
Les botanistes, les chercheur.euse.s, les élagueurs, les animateur.ice.s, les jardiniers, les agent.es d’accueil, tous ces métiers que l’on découvre dans la série relèvent de l’intérêt public. Qu’il s’agisse de protéger notre patrimoine végétal, transmettre de la connaissance, trouver des solutions pour s’adapter au dérèglement climatique ou cultiver de la beauté, ils et elles travaillent tous pour notre bien-être.
''Durant le tournage, j’ai pu mesurer la difficulté pour les jardiniers de faire face à l’inconnu en ce qui concerne le climat, et dans les bureaux à une forme d’usure à devoir marteler au quotidien que la nature et l’homme ne forment qu’un. "
Thomas Rault
Comment avez-vous travaillé, dans votre film, l'idée de soin, de bien-être, de réconfort que vous inspirent les jardins ?
Considérer ce jardin comme un lieu de soin a été la boussole qui a guidé tout le projet, avec la question des soins qu’il reçoit mais également qu’il prodigue. On découvre donc ce va-et-vient d’attentions portées par les jardiniers et de services rendus par le Jardin. Concrètement, pendant l’année de repérage qui a précédé le tournage, j’ai essayé de créer du lien et de la confiance avec les équipes pour pouvoir filmer au plus près. La plupart ont accepté d’être filmés et ils ont été généreux car être suivi par une équipe de tournage pendant 52 semaines, c’est long ! Pour ce qui est du montage, on a eu l’idée de prêter une voix au Jardin. Vieux de 200 ans, rieur, parfois inquiet, toujours sage, il est le personnage principal de la série. Il permet au spectateur de découvrir dans chaque épisode, un peu à la manière de pollinisateurs qui butinent de fleurs en fleurs, les différentes facettes de ce fameux soin.
Comment avez-vous abordé la question de la temporalité, de cette transformation lente du jardin ?

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Le fait de suivre le jardin pendant un an était une évidence dès l’écriture. Pouvoir se représenter un cycle complet des tâches quotidiennes des équipes, et voir le jardin évoluer au fil des saisons. Mais comme le rappelle Claire, l’expérimentation sur le temps long est complexe. Avec les plantes, il est possible de voir relativement rapidement si les choix sont pertinents, mais avec les arbres qui demandent plusieurs années pour se développer c’est plus délicat.
Pourquoi maintenant ?

Nous vivons une période où la relation entre les hommes et les plantes, les arbres, le végétal… est abîmée. Il me semble donc intéressant de filmer un lieu où des humains prennent soin de cette relation et où d’autres humains viennent recréer ce lien que le béton et notre époque fragilisent. Je crois que ce jardin et ses équipes, avec leurs gestes, leur savoir, leur sensibilité peuvent être inspirants pour remettre le végétal au cœur de nos préoccupations.