Documentaire

Femmes de Mayotte - Shikowas, les cagnottes de la liberté

Collection « La voie des femmes »

Elles s’appellent Rahababi, Zaitouni, Naïcha et Zakia, elles sont mahoraises, elles ont entre trente et soixante ans, et toutes les quatre participent à un shikowa, une sorte de tontine, de cagnotte solidaire, d’épargne informelle qui leur permet de porter des projets familiaux ou professionnels dans des logiques de court ou moyen terme. Ces femmes mettent ainsi de côté quelques centaines ou quelques milliers d’euros par mois pour construire une maison, organiser le mariage de leurs filles ou encore développer un commerce sur le marché de Mamoudzou. Des initiatives qu’elles entendent réaliser en quelques mois, sans avoir à solliciter leur mari ou la banque. C’est la force de la sororité mahoraise, grâce à leur shikowa, les femmes de Mayotte s’ouvrent un espace de liberté, un monde des possibles, une vie plus enchantée, un quotidien plus rassurant, mais aussi une force collective. Le film s’attache à ce phénomène si caractéristique de ce territoire ultramarin en l’abordant d’un point de vue féminin et microéconomique.


L’histoire des shikowas est liée à celle de Mayotte. Un héritage venu d’Afrique, une tradition qui permet de s’affranchir de tout recours à des systèmes financiers habituels, banque ou micro-crédit. C’est aussi ancien que son origine étymologique est mystérieuse. Ni en shimaoré, ni en kibushi, les deux langues vernaculaires les plus courantes à Mayotte, le mot ne trouve de racine connue. Les anciens se souviennent que cela a toujours existé, presque uniquement pour les hommes. Les femmes, qui travaillaient sans salaire, exerçaient de petits métiers bien souvent non déclarés. Après guerre, et surtout à partir de la départementalisation, les femmes mahoraises ont accès à plus d’éducation, de formations et de professions. Cette modernité leur permet de gagner plus d’argent et aussi d’épargner. Elles se tournent vers les shikowas par facilité, mais aussi parce que ce genre de tontine est compatible avec la religion musulmane. En effet, le Coran interdit l’usure, il n’est donc pas possible de placer de l’argent en touchant des intérêts.

Depuis les années 1950, les Mahoraises se sont approprié ces cagnottes, au point que ces groupes d’échange et d’épargne informels sont désormais devenus majoritairement féminins et constituent un outil de financement de pans entiers de l’économie locale, aidant une partie de la population, dont 77 % vit sous le seuil de pauvreté.

Le fonctionnement est simple. Des femmes décident de créer ensemble un groupe de relations, de connaissances, de proximités familiales, géographiques ou professionnelles et fixent une mensualité qu’elles doivent verser à l’une d’entre elles, la cheffe, chargée de la redistribution. Elles mettent leurs liquidités au service des autres. « Une pour toutes, toutes pour une ! » souligne volontiers Bibi Fatima, l'une des femmes qui incarnent ce du documentaire. À tour de rôle, elles ont ensuite la possibilité d’emprunter le montant disponible de l’épargne collective pour le dépenser comme bon leur semble. Sans papier, sans contrat autre qu’un accord de confiance jamais démenti. Entre la puissance de la parole donnée, l’engagement au féminin et le poids de l’insularité, il n’y a quasiment pas d’exemples de shikowa féminin dans lequel certaines feraient défaut de paiement ou de cotisations.

Quatre femmes mahoraises se racontent et racontent la relation qui les unit à leur shikowa par tradition, mais aussi comme une évidence : pour avancer dans leur vie, pour assurer leur statut de mère, pour développer une activité professionnelle, elles se sont associées à d’autres pour bénéficier de l’épargne de toutes. Elles ont opté pour ce financement informel dans lequel l’argent circule le plus souvent en liquide et sans traçage, sans encadrement comptable ou contractuel autre que la parole donnée.

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Inédit

​52 min

Réalisation
Mélanie Dalsace

Production
Bonne Compagnie

Avec la participation de 
France Télévisions 

Avec le soutien
du Centre National de la Cinématographie et de l'Image Animée

Conseillère de programmes
Aurélie Hamelin-Mansion

Directeur des contenus du pôle Outre-mer
Laurent Corteel

Directrice adjointe des contenus, en charge de la visibilité des programmes  Outre-mer
Christelle Lefrançois

2023

naichaNaïcha a une trentaine d’années. Souvent vêtue d’élégants salouvas, tenues traditionnelles des Mahoraises, elle arbore un large sourire quand elle parle de sa boutique, une sorte d’étal en plein centre du grand marché de Mamoudzou. Elle y vend des robes, et bien évidemment des salouvas, des modèles abordables mais aussi des pièces luxueuses pour les grandes occasions. Un peu victime de son succès, Naïcha rêve d’ouvrir une deuxième boutique, un magasin de meubles, à Majicavo où elle habite. Pour le financer, et préparer le projet, elle doit vendre ses stocks et réassortir. Elle a décidé, il y a quelques années, de créer un shikowa au sein même des vendeuses sur le marché. Elle est en devenue la cheffe. Avec neuf autres femmes, elles déposent chaque mois mille euros en épargne. Une fois par an elle dispose ainsi de dix mille euros pour faire le voyage à Dubaï où elle achète ses salouvas chez des grossistes. L’enjeu pour elle est important.

RahababiRahababi a soixante ans. Toute sa vie, elle a fait des petits boulots. Depuis quelques mois, elle est employée par le département et s’occupe de l’entretien des espaces verts dans le sud de l’île. Ses deux filles habitent à quelques kilomètres de chez elle, dans leurs maisons qui sont toujours en construction. Et loin d’être achevées. Dans la tradition mahoraise, les femmes ont la responsabilité de la maison de leurs filles. Rahababi sait qu’elle doit encore acheter des quantités de parpaings et du sable pour finir quelques murs et agrandir certaines pièces. Il lui faut également acheter des fenêtres. Elle a adhéré à un shikowa monté par huit de ses collègues. Mensualité : cent euros. Quand son tour viendra de toucher la cagnotte, elle espère être en mesure de fournir tout le matériel dont ses deux filles ont besoin pour poursuivre les travaux dans leurs maisons.

bibiBibi Fatima est, à cinquante-deux ans, assistante sociale et adjointe du maire de son village de Bouéni sur Grande-Terre, après avoir passé quelques années en métropole. Elle a quatre filles, l’aînée est en âge de se marier, l’événement devrait avoir lieu cette année et dans la tradition mahoraise. Elle va devoir organiser des cérémonies de mariage à la hauteur, c’est une question de fierté familiale. Elle épargne donc, avec la dizaine d’autres femmes de son shikowa, mille euros chaque mois, somme maximale pour ne pas être ennuyée par la banque...

zaitouniZaïtouni, fonctionnaire de trente-sept ans, est chargée de la gestion de fonds européens pour Mayotte. Elle a fait des études de droit en métropole, a travaillé pendant quelques années en région parisienne, avant de se décider à rentrer à Mayotte où elle entend construire sa vie. Acheter une belle maison dans le quartier de Mtsapéré fait partie de ses objectifs, elle va devoir passer par un prêt bancaire important (aux alentours de 200 000 euros), car une telle somme ne peut pas sortir d’une cagnotte. Zaïtouni a choisi de moderniser ce système en créant  un shikowa 2.0 via Facebook et WhatsApp. Les femmes qui l’ont rejointe sont plutôt jeunes et avec leurs smartphones elles pourront faire des transferts d’argent directement de leur compte personnel vers celui des autres membres du shikowa !


La collection documentaire « La voie des femmes » met en lumière le rôle et la place des femmes dans les sociétés ultramarines. Des portraits de femmes inspirantes qui ont triomphé des difficultés, des codes ou des interdits pour exister pleinement. Leur histoire donne l'exemple d'une affirmation sans limite et en toute indépendance. 


 

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