Rachid Taha, rockeur sans frontières

Rachid Taha a douze ans lorsqu’il quitte l’Algérie pour la France, au tout début des années 70. C’est le premier voyage, le plus douloureux : la famille débarque en Alsace, et il faut se faire accepter dans un pays hostile (les plaies de la guerre d’Algérie sont bien loin d’être refermées). Son enfance est marquée par ce déracinement, et par les cadences infernales du travail de son père à l’usine, mais très vite, en autodidacte, Rachid va se forger une culture. A l’adolescence il rejoint une équipe de vendeurs de livres en porte-à-porte, et plonge avec passion dans la littérature. Les mots vont devenir son arme.

C’est en usine, dans la banlieue lyonnaise, qu’il rencontre les amis musiciens avec qui il crée le groupe de rock culte Carte de Séjour, qui marquera les années 80.  Rachid chante ses frustrations, ses contestations. Il devient une icône pour la jeunesse issue de l’immigration, à qui il crie « Existez, soyez vous-même ! »… dans un pays où exclusion et violences racistes s’intensifient. Un mouvement d’espoir naît alors, dont la musique de Taha est la bande originale, accompagnant en octobre 1983 la grande « marche pour l’égalité et contre le racisme ».

Dès lors, Rachid Taha tiendra toujours le rôle du lanceur d’alerte, en artiste engagé, acteur d’une vie politique et sociale qu’il observe avec clairvoyance, avec une liberté de parole totale. En musique ou sur les plateaux de télévision, il bouscule, refuse la révérence et toute forme de récupération, quitte à se mettre tous les bords à dos. S’il participe à l’apogée de la France « Black-Blanc-Beur » dans les années 90 avec le concert historique « 1, 2, 3, Soleil », il n’aura de cesse de dénoncer la montée de l’extrême droite et de la xénophobie, ici et partout dans le monde.

Musicalement, la collaboration de Rachid Taha avec le grand producteur anglais Steve Hillage, aventure unique dans l’histoire du rock, donne naissance à un son singulier et novateur, abolissant toute frontière entre tradition et musique électronique. « Ya Rayah » est la première chanson en langue arabe qui fait danser toute la planète, ouvrant à Rachid les portes d’une carrière internationale. Il fascine les stars du rock anglo-saxons, anciens membres des Clash ou de Led Zeppelin, qui voient en lui l’incarnation de la rébellion, le punk ultime !

Mais en France Rachid souffre d’être perçu comme le porte-parole d’une communauté alors qu’il est tout l’inverse, un artiste universel. Il aimerait tant être mieux écouté, mieux compris. Et loin des projecteurs il mène en secret un autre combat : un mal le ronge, une maladie génétique qui l’épuise et lui fait perdre l’équilibre, contre laquelle il aura le dernier mot.

Note d'intention :

Déraciné dès son enfance, Rachid Taha a fait de cette déchirure, de ce déséquilibre originel, son moteur de vie et de création. Le besoin d’échapper à la place où on voulait le confiner, le goût de l’altérité, du mélange et du voyage vont dès lors déterminer son parcours et sa musique. C’est cette énergie qui a toujours fasciné le réalisateur Thierry Guedj et qu’il a voulu raconter à l’occasion de la collection « Rebelles » de France Télévisions. Cette quête du mouvement perpétuel, il a choisi d’en faire le cœur de son film, une forme de clé de compréhension de l’artiste.

Le film s’attache à dessiner un portrait juste de cet écorché vif, issu d’un milieu prolétaire, luttant sans relâche contre le racisme et les discriminations, avec pour armes une rage et un humour dévastateurs. La personnalité de Rachid Taha guide le spectateur, son look un peu trash mais toujours classe, son caractère flambeur et sa grande simplicité, son œuvre lucide et ironique : le regard de l’homme et les combats de l’artiste éclairent continuellement son époque.

Les proches de l’artiste offrent des témoignages vibrants et passionnés, comme était Rachid : ce sont Rodolphe Burger, Hakim Hamadouche, Steve Hillage, son fils Lyès… Et des images rarement ou jamais vues donnent à ce portrait toute sa vérité : des extraits de concerts donnés dans le monde entier nous rappellent quel infatigable homme de scène il était ; des films privés inédits nous montrent l’homme dans l’intimité, un être paradoxal, imprévisible, solaire et révolté : tournés par son musicien Yves Aouizerate à l’occasion de grandes tournées internationales, ils nous plongent en immersion totale dans la vie de Rachid. On lit dans son regard cet appétit de connaître l’autre, pour mieux partager, et pour se retrouver.

Ce documentaire est issu de la collection « Rebelles ou l’art de bousculer »...
Leur art exprime une révolte, un moment de rupture dans le monde de la création. Artistes contemporains majeurs, français ou internationaux, ils ont, par leur vision du monde, souvent créé le scandale et contesté les ordres établis. Leur héritage est incontestable et marquera durablement.
Issue d’un appel à projets initié par France Télévisions en 2022, la collection « Rebelles ou l’art de bousculer » propose de raconter ces artistes sans concessions au travers de portraits unitaires et résolument éclectiques.