YAM QUAND L'IGNAME RACONTE LES HOMMES
Archipels

Yam quand l'igname raconte les hommes

Documentaire - Mercredi 28 septembre 2016 à 22:45 - Sur Mayotte 1ère

L’igname n’est pas qu’un délicieux aliment de base. Dans la culture mélanésienne, ce légume-racine est investi d’un important capital symbolique. De l’archipel du Vanuatu aux îles Salomon, de la Nouvelle-Calédonie à la Papouasie-Nouvelle Guinée, il accompagne les grandes étapes de la vie humaine, de la naissance à la mort.

Sur l’île de Tanna, au Vanuatu, un grand jour se prépare. « Chaque année, le 1er avril, nous prions la nouvelle igname, explique Raymond Senea, le chef du village d’Ianarawia. On doit d’abord ouvrir un chemin pour notre ancêtre Matitiki. C’est une sorte d’homme que l’on ne voit pas : il est invisible. » Gardien de la magie de l’igname, Bernard Sero décrit ce qui se prépare : « Nous allons prendre les pierres ; elles représentent les étoiles et les signes. Si ces derniers sont bons, les ignames auront une bonne qualité. » Annonçant tout à la fois la fin d’un cycle et le renouveau, le rituel permet au clan d’« entrer dans la coutume ». Il s’accompagne de chants et de danses, qui racontent l’alliance entre les hommes et l’igname. Symbole de fertilité, de puissance créatrice et d’honneur, le légume-racine tient une place à part dans la culture des peuples premiers des archipels océaniens. Sur l’île corallienne de Santa Catalina, aux Salomon, les femmes la cultivent sur les hauteurs, au milieu de la forêt. « L’igname est comme un enfant : on doit prendre soin d’elle avec bienveillance », rappelle l’une d’elles. « Ici, à Santa Catalina, précise Sias Maka’a, un villageois, elle est très importante, car on l’utilise dans les initiations des jeunes garçons pour qu’ils deviennent adultes. »

Quand des aliments venus d’ailleurs, d’Europe ou d’Asie, comme le riz, sont arrivés dans les îles du Pacifique, les comportements alimentaires ont changé. La culture de l’igname aurait pu disparaître et avec elle un patrimoine immatériel unique. « L’implication des gens dans les cérémonies coutumières était totalement perdue, se souvient George Qwarea, chargé culturel de Santa Catelina. Entre les années 1990 et 2000, il n’y avait plus de maisons coutumières, plus de pirogues traditionnelles. Mais nous les avons fait renaître ! » Moyen de paiement, d’échange et de remerciement, l’igname est en Nouvelle-Calédonie, à Maré par exemple, au cœur de la cérémonie du mariage. Offerts aux jeunes époux, les longs tubercules noirs matérialisent également l’appartenance au peuple kanak. « Ce qui bloque le mariage coutumier, regrette Robert Ngazo, chef de Hnadide, c’est l’argent… Une personne riche oublie la coutume, la néglige, alors que la coutume n’a pas de prix. » Sacrée en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où elle permet d’honorer la mémoire des défunts, l’igname atteste de la valeur d’un leader, assure Pino Kais : « À Maprik, celui qui récolte une longue igname devient un grand homme, le chef de la communauté, car il est le meilleur. »

Christine Guillemeau

YAM QUAND L'IGNAME RACONTE LES HOMMES

 

Documentaire 

Durée : 55 min

Auteures-réalisatrices : Dominique Robertjot et Christine Della-Maggiora

Production : Latitude 21 Pacific / Le Réseau de télévisions de la Mélanésie

Année : 2016

 

YAM QUAND L'IGNAME RACONTE LES HOMMES

Entretien avec les deux réalisatrices Dominique Roberjot et Christine Della-Maggiora 

Comment est né ce projet ?

Le projet de ce film documentaire est né de la création du réseau de télévisions de la Mélanésie en 2014 à Maré. Elles avaient besoin d’un projet pilote pour tester la faisabilité d’une coopération et poser la première pierre de ce nouveau réseau avec une coproduction. Les sujets qui font miroir entre les pays de la Mélanésie sont nombreux, que ce soit dans le domaine économique, social, environnemental, culturel, etc. Toutefois, l’igname s’est immédiatement imposée comme étant « le » sujet à traiter… En effet, l’igname est le socle commun des identités mélanésiennes.

Pourquoi avoir fait parler l’igname ?

Très souvent, et tout particulièrement dans les sociétés occidentales, l’Homme porte un regard sur le monde comme s’il était le seul à le voir et à le ressentir. De là viennent d’ailleurs une grande part des problématiques environnementales que nous rencontrons aujourd’hui et de ce déni de notre planète avec laquelle nous avons arrêté de communiquer pour lui imposer notre vision.

Dans de nombreuses sociétés à travers le monde, il existe une réelle communication entre les Hommes et le monde végétal. Ces plantes qui parlent aux Hommes sont appelées « les plantes maîtresses » en Amazonie. Ce sont des plantes qui ont une dimension sacrée et qui accompagnent l’Homme tout au long de sa vie. Ici, dans le Pacifique, il existe plusieurs plantes maîtresses comme le kava et l’igname. C'est un peu pour réparer cela que Dans ce film, nous avons voulu donner la parole à l’igname. Nous avons décidé, pour la réalisation, de poser ce regard en nous posant la question : "Que dirait l’igname de l’Homme Mélanésien si elle pouvait s’exprimer avec des mots ?" Lorsque nous avons discuté de cette proposition avec ceux que nous avons filmés, ils ont trouvé cela naturel. En Papouasie-Nouvelle-Guinée par exemple, les hommes parlent à l’igname. Aux îles Salomon, ils la considèrent comme un enfant… Ici, en Nouvelle-Calédonie, nous avons retenu cette phrase de Jean-Marie Tjibaou : « L’igname est le jumeau de l’Homme. ».  Alors, si nous les humains savions ouvrir notre cœur plutôt que nos oreilles pour écouter les plantes, peut-être pourrions-nous communiquer et restaurer des liens qui se perdent au fil du temps. C’est ce lien que nous avons essayé de tisser et de mettre en lumière dans l’écriture du film.

Que retenez-vous du tournage ?

Tant de choses ! D’abord, l’immense implication des personnes que nous avons filmées dans chaque pays et qui ont vraiment pris à cœur le projet car chacun était enchanté de contribuer à un film qui parle de la valeur de l’igname. On sentait, d’un pays à l’autre, que la connexion était là. En nous emmenant avec eux dans les champs ou en nous ouvrant leurs cérémonies traditionnelles, tous avaient en tête toujours en tête que d’autres Mélanésiens, originaires d’autres pays, allaient pouvoir découvrir leur manière de vivre avec l’igname.

Nous avons beaucoup appris sur la valeur sacrée de l’igname. Ce travail a été très chargé émotionnellement car les gens nous ont fait confiance et nous ont ouvert leur cœur. L’igname, ce n’est pas juste un tubercule. Par moment, nous avions le sentiment que c’était plus une bible ancestrale. Chaque pays la lit à sa manière, mais les lois sacrées sont les même : l’amour, le partage, la paix. C’est vraiment une magnifique plante maîtresse.

D’où vient la coutume de l’igname ?

Comment ce lien sacré s’est construit entre l’Homme et l’Igname ? Difficile de répondre à cette question. Bien sûr, l’igname est la nourriture de base de la Mélanésie. Mais, est-ce suffisant pour expliquer la force de ce lien ?

Il y a un livre magnifique à lire : Intelligence dans la nature : En quête du savoir, de Jeremy Narby. Dans ce livre, l'anthropologue se met à l'écoute de la parole des plantes et il émet une hypothèse fort intéressante. L’Homme depuis la nuit des temps utilise les plantes pour survivre, mais peut-être n’a-t-il pas conscience que ces dernières ont également leurs stratégies de survie et qu’elles utilisent l’Homme pour survivre et se répandre dans le monde. L’homme et l’igname ont scellé leur destin en Mélanésie. Ils ont voyagé ensemble sur les pirogues, d’îles en îles… Ils ont peuplé ensemble le Pacifique… Certains disent que cette histoire commune aurait commencé en Papouasie Nouvelle-Guinée. Les chemins de l’igname sont un peu comme les chemins du Temps du rêve des Aborigènes : ils se croisent, sont complexes et c’est tout ce qui fait toute leur magie.

La tradition se perpétue-t-elle encore aujourd’hui ?

La tradition se perpétue, mais elle doit combattre sans arrêt un mouvement du monde qui tend vers une pensée unifiée. Aujourd’hui tout le monde doit manger la même chose, prier de la même façon, penser de la même manière. C’est le rouleau compresseur de la mondialisation. L’igname a d’abord été attaquée par les religions. En Papouasie Nouvelle-Guinée, entre les années 1970 et 2000, des dizaines de Maison des Esprits ont été incendiées par des extrémistes religieux. Et puis, il y a l’arrivée de produits comme le riz ou les nouilles chinoises, qui ont porté un coup terrible à l’igname et dont les gens en parlent dans le film. Il y a une véritable nécessité pour les peuples de la Mélanésie de rester dans le mouvement du monde, d’avancer avec le reste de l’humanité tout en préservant l’igname et ses valeurs. C’est un immense défi !

Yam quand l'igname raconte les hommes

Dominique Roberjot et Christine Della-Maggiora sont les deux fondatrices de la maison Latitude 21 Pacific. Elles travaillent depuis 15 ans avec les Peuples Premiers d’Afrique, du Pacifique et d’Amérique Latine pour donner la parole aux communautés isolées et parler de la diversité culturelle. C’est en organisant l’exposition «rencontres sur la même latitude» qu’elles se rencontrent. Cette exposition itinérante a été présentée dans les écoles, villages, centres culturels de nombreuses communautés autochtones à travers le monde et à l’UNESCO au Paraguay.  Elles se lancent  dans la réalisation en 2003 d’abord dans le cadre de leur association «Dekomane» (en nengone «il n’y a pas d’argent», puis avec leur société de production Latitude 21 Pacific. A ce jour une dizaine de collaborations, ont déjà été réalisées avec les 1ère et France Ô.

Le Réseau est constitué des chaînes de télévisions de la Mélanésie, ce qui inclue le Vanuatu, la Papouasie Nouvelle-Guinée, les Îles Salomon, la Nouvelle-Calédonie et Fidji.

YAM, QUAND L’IGNAME RACONTE LES HOMMES a été produit avec la SRTV du Vanuatu, Kundu TV de Papouasie Nouvelle-Guinée, One News Limited des Îles Salomon et NC1ère pour la Nouvelle-Calédonie.