Air France, splendeur et turbulences

« Ce qui caractérise, hélas ! l’État actionnaire, c’est qu’il change trop souvent d’avis et que sa vision est schizophrénique : une partie de l’État vous dit qu’il faut faire des économies, une autre, qu’il ne faut pas de problèmes sociaux, une troisième, qu’il faut porter le drapeau [français] très loin, très haut. Cette cacophonie, il fallait l’affronter. » Ce point de vue de Bernard Attali sur ce qu’il a vécu comme PDG d’Air France de 1988 à 1993 résume à lui seul l’ambiguïté du rôle de l’État dans la gestion de la compagnie. Actionnaire majoritaire jusqu’en 2004, après la fusion entre Air France et KLM, l’État était en effet à la fois promoteur de la marque et frein à son développement, notamment au moment de signer des ventes d’Airbus avec des compagnies concurrentes. Longtemps protégée par son statut d’entreprise publique, la société incarne toutes les contradictions de l’économie française : concurrence féroce, manque de compétitivité et de réactivité face à la mondialisation, syndicats puissants, management difficile…

Mutations à marche forcée

© Nova Prod

Jusqu’au début des années 1990, Air France était le porte-drapeau d’une forme de luxe à la française, ce qui lui valait alors le surnom de « Quai d’Orsay volant ». Mais, en 1993, la compagnie entre en zone de turbulences, subissant de plein fouet l’ouverture du marché européen. Elle doit alors faire face à une concurrence accrue et écluser ses dettes. L’annonce d’un plan d’économies déclenche une grève historique, au cours de laquelle salariés et CRS s’affrontent sur les pistes, au pied des avions. Au fil des plans d’économies ou de départs volontaires, les conflits sociaux émaillent l’histoire de la compagnie : contre la double échelle des salaires des pilotes en 1997, juste après le départ du PDG Christian Blanc et à l’arrivée de Jean-Cyril Spinetta ; contre le projet de compagnie européenne à bas coût en 2014, sous Alexandre de Juniac — deux semaines, soit la plus longue grève des pilotes à ce jour. Les dirigeants se suivent, mais le credo est le même : la compagnie ne peut pas s’endormir sur ses lauriers.

Quelles perspectives ?

Les défis à relever sont nombreux, comme l’arrivée sur le marché des compagnies low cost ou des compagnies du Golfe, mais pas toujours anticipés. En 2011, la situation financière du groupe est délicate. Alexandre de Juniac lance un plan de départs volontaires. Le fossé se creuse entre ce dernier et ses salariés. En octobre 2015, la tension est à son comble : pour la première fois, on évoque des licenciements. Une centaine de manifestants envahissent la salle où se tient le comité central d’entreprise. S’ensuivent l’affaire de la chemise arrachée et des poursuites contre cinq salariés. Tous s’accordent à dire que, ce jour-là, un cap a été franchi, qui marquera à jamais l’histoire de la compagnie. Alors, quel horizon désormais pour Air France, dirigée depuis cet été par Jean-Marc Janaillac ? Nul doute que sa tâche sera ardue et sûrement encore secouée de quelques turbulences.

Stéphanie Thonnet