Faut pas rêver

Dans ce numéro de Faut pas rêver, Philippe Gougler nous ouvre la très célèbre route du thé. Ce sentier escarpé, emprunté pendant des siècles par les muletiers et les poneys du Yunnan, serpente de villages en villages dans cette région de l’ouest de la Chine. Presque aussi grand que la France et seul dans l’empire du Milieu à afficher un climat tropical, le Yunnan cultive le thé Pu-erh comme l’or vert des montagnes. Pourtant, il y a quelques décennies, certains paysans avaient arraché leurs théiers pour planter de quoi nourrir leurs enfants. D’autres plus chanceux avaient réussi à conserver leur patrimoine familiale. Aujourd’hui, dans ces villages à l’architecture préservée, ils s’enrichissent d’année en année, à mesure que les cours de la précieuse denrée s’envolent. Car le Pu-erh, ce thé noir fermenté, est devenu un véritable produit de luxe. Présenté en galette compacte s’il est conservé entre 23 et 30 degrés, il peut se bonifier et atteindre l’âge vénérable de 50 ans ou plus pour être vendu aux enchères jusqu’à 43 000 euros le kilo. Un commerce comparable en de nombreux points à celui du vin.

La route séculaire du thé se divise vers l’Ouest en direction du Tibet et vers le Nord et le Sichuan. Des milliers de kilomètres au fil desquels Philippe Gougler cueille les feuilles de Camellia sinensis, vit avec les villageois la fête qui célèbre le découvreur du thé Pu-erh et ouvre les portes les plus secrètes de ce trafic ancestral. Caravansérail, marché aux thés, temples, riche businesswoman dont le commerce se veut équitable, maison de thés où l’on découvre les secrets de préparation de ce breuvage à l’origine thérapeutique. Rien n’échappe à notre guide, et certainement aucune fête, qu’elle soit des moissons, du cheval ou du nouvel an, quand chacun sort son pistolet à eau pour s’arroser avant d’envoyer dans les nuages une lanterne chargée d’un vœux secret pour la nouvelle année. Mille lumignons côtoient les gratte-ciel, et le voyage s’achève sur un serpent de bitume parmi les plus hauts du monde : la toute nouvelle autoroute aux 270 ponts atteignant jusqu'à 110 mètres de haut. Une prouesse architectural et technique qui remplace petit à petit la route du thé.

Diane Ermel