La Vengeance de Poutine

Comment est née l’idée de ce film ? Pourquoi avoir décidé de raconter le parcours de Vladimir Poutine depuis 2012 ?

Antoine Vitkine : En fait, l’idée de ce film n’est pas née en 2012, lors de la réélection de Poutine, mais fin 2016. J’ai eu le désir de réaliser ce documentaire lorsqu’avec un certain étonnement j’ai fait ce constat : Poutine était passé, en quelques années à peine, du statut de président décrié d’une puissance relativement marginalisée à celui de personnage central de la scène politique internationale. Au Moyen-Orient ou en Europe de l’Est certes, mais aussi en Occident, où l’influence politique et médiatique de la Russie se faisait sentir. Lors de la campagne présidentielle en France, on aurait dit que la Russie était devenue un thème de politique intérieure et Poutine lui-même un personnage en fonction duquel tous les candidats devaient se positionner. De surcroît, le simple fait que l’on puisse prêter au président russe d’avoir influé sur l’élection présidentielle des États-Unis, le grand rival, infiniment plus puissant que la Russie, était stupéfiant. J’ai voulu comprendre comment on en était arrivé là, ce que voulait Poutine et quelle pouvait être la suite des événements. En outre, en 2016, alors que je terminais un documentaire sur Bachar el-Assad, me pencher sur Poutine, maître du jeu en Syrie et parrain du président syrien, me semblait une suite logique.

Tous les intervenants, y compris les politiciens russes, témoignent sans langue de bois. Vous avez dû les mettre en confiance pour les convaincre de se livrer en toute vérité ?

A. V. : Je ne me suis pas caché de vouloir donner la parole à tous les camps. Du côté français, François Hollande s’est beaucoup exprimé, car son quinquennat, au plan diplomatique, a été fortement marqué par les relations avec la Russie. Il revient notamment sur un épisode saisissant quand, avec Angela Merkel, il tente de confronter Vladimir Poutine aux preuves du soutien de la Russie aux séparatistes de l’Est ukrainien et que le président russe nie tout en bloc. Les Américains de l’équipe Obama en avaient eux tellement « gros sur la patate » qu’ils ont parlé librement et ont tenu à livrer leur vérité, leur interprétation de ce qui c’était passé au cours des six années précédentes. Ils avaient le sentiment de devoir rendre des comptes, expliquer comment Poutine avait gagné du terrain au détriment de l’Amérique. Quant aux Russes, ils assument parfaitement leur politique et acceptent d’en parler, parfois de manière très franche. S’agissant par exemple de Vladimir Iakounine, proche de Poutine, longtemps membre de son premier cercle, j’ai négocié avec des intermédiaires et expliqué mon projet. Il a joué le jeu, tout en sachant exactement jusqu’où il pouvait aller, ce qu’il pouvait dire et ce qu’il devait taire.

Le cercle rapproché de Poutine a-t-il eu un droit de regard sur le documentaire achevé ?

A. V. : Non, ni les Russes ni d’ailleurs les intervenants français ou américains n’ont eu de droit de regard sur ce documentaire.

Propos recueillis par France Hatron