Les Demoiselles de Rochefort

Les jolies jumelles chapeautées, interprétées par Catherine Deneuve et Françoise Dorléac, qui étaient aussi sœurs dans la vie, racontent une tranche de leur destin à Rochefort, en chantant et en dansant sur les paroles en alexandrins de Jacques Demy et la musique de Michel Legrand. Leur mère, Madame Yvonne, qu’incarne Danielle Darrieux, tient un café-restaurant et élève seule son jeune fils Boubou, qu’elle a eu « d’un deuxième lit », après les jumelles. Yvonne pense toujours à son amour de jeunesse, un certain Monsieur Dame, qu’elle a autrefois quitté à cause de son nom ridicule. Eh oui, elle ne voulait pas s’appeler Madame Dame. Simon Dame, devenu marchand d’instruments de musique, n’a jamais oublié Yvonne non plus.

Delphine et Solange donnent leurs cours de danse et de solfège dans le bel appartement qu’elles partagent et elles se relaient pour aller chercher leur petit frère à la sortie de l’école. Comme elles sont belles et distinguées, pourvues en plus d’un brin d’impertinence et de naïveté, elles se font draguer sans cesse.  

De son côté, Maxence, un marin, peintre à ses heures perdues, cherche la femme idéale, celle qu’il a justement imaginée et immortalisée par un portrait. Et dire que la belle ressemble étrangement à Delphine ! Il y a aussi Andy Miller, le danseur américain qui rêve de rencontrer une fille qui partagerait sa passion.

Préférer la joie au malheur, l’intelligence à la bêtise

Ce petit monde, dépeint avec poésie, est issu de toutes générations. À la fois enjoué et dans l’attente d’une vie meilleure, il se croise, s’évite ou se manque parfois de justesse, au café-restaurant d’Yvonne, pendant la grande foire commerciale qui se tient à Rochefort. Là, on vient pour prendre un verre, ou un repas, ou simplement flâner, discuter, parce qu’on s’y sent bien et que les demoiselles ne sont jamais loin.  

« Je voulais faire un film qui encourage… La vie, c’est un combat mais j’essaie au maximum de le rendre vivable et possible », avait confié Jacques Demy à la sortie de son film il y a cinquante ans. Plus qu’encourager, ces demoiselles, un peu légères au goût de certains, émerveillent et font rêver depuis maintenant des décennies.

À la fois gaie et mélancolique, la comédie musicale Les Demoiselles de Rochefort annonce le vent de liberté qui va souffler sur 68. Elles, qui exercent un métier artistique et essaient de vivre de leurs talents, sont sur le point de « monter à Paris » pour ne pas avoir la même vie que leur mère sans doute. Et elles n’ont pas froid aux yeux. Surtout quand il s’agit, pour Delphine, de quitter son petit ami Guillaume parce qu’elle ne l’aime pas ou de rabrouer un prétendant qui la flatte avec un « Vous êtes bien jolie, mademoiselle » par un « On m’l’a déjà dit. Ce n’est pas original ».

Cette comédie musicale à la mise en scène au cordeau est portée par des comédiennes talentueuses. Le jazz, imprégné de pop et de samba, y tient, lui aussi, un rôle à part entière, et un rôle tout simplement à part dans l’histoire du cinéma.

France Hatron