Un jour, une histoire

Sous la monarchie comme sous la République, la santé du souverain reste un sujet tabou, et ce, malgré le décès de Georges Pompidou en cours de mandat. Dans ce documentaire, images d’archives et témoins de première main éclairent les raisons de ce mensonge d’État sur la maladie de François Mitterrand. De manière inédite et événementielle, Un jour, une histoire livre un numéro en forme de carnet de santé du président.

Sous la monarchie, il y avait la théorie des « deux corps du roi » de l'historien allemand Ernst Kantorowitz, illustrée au moment de la mort du souverain par la formule « Le roi est mort, vive le roi ». Sous la Ve République, de par la conception pseudo-monarchique du chef de l’État, ce mythe a survécu. C’est pourquoi la question de la santé du président est longtemps restée taboue. Et le décès en exercice du président Pompidou n’y a rien changé. Aussi François Mitterrand décide-t-il de garder le silence lorsque, six mois après son élection, le professeur Steg, un urologue réputé, confirme un diagnostique de cancer de la prostate. François Mitterand, qui avait été élu en promettant la transparence sur son état de santé, s’engage sur la pente glissante du mensonge d’État. Son médecin, le docteur Gubler, témoin précieux invité d’Un jour, une histoire, remplit bien des bulletins de santé officiels mais fait l’impasse sur les symptômes identifiés.

« C’était un homme du secret. Le secret était une survie », explique Roland Dumas, ministre sous sa présidence. Et pourtant, l’information aurait pu sortir. Le 19 novembre 1981, Paris Match rapporte la visite du président au début du mois au Val-de-Grâce,clichés à l’appui. La fuite ne peut venir que de l’hôpital qui est cependant réputé pour sa discrétion. Mitterrand est furieux et contraint de provoquer une interview dans laquelle il désinforme le public : le mensonge est institutionnalisé. Jean-Louis Bianco, secrétaire général de l’Élysée, restitue le contexte qui éclaire cette décision : « Ce n’était pas possible pour François Mitterrand, en 1981, de dire la vérité sur sa maladie, surtout avec l’événement historique que représente le premier président de gauche. »

L’état de grâce
Si l’état de grâce en politique renvoie d’ordinaire à ce surcroît de crédit dont bénéficie un président aussitôt après son élection, dans le cas du quatrième président de la Ve République, l’expression se rapporte à la santé de ce dernier, « un état de grâce physique, en quelque sorte », précise son neveu, Frédéric Mitterrand. En juin 1984, alors que le professeur Steg parle d’un sursis « de 3 mois à 3 ans » au premier diagnostique, l’ancien secrétaire du parti socialiste, comme guéri, part faire l’ascension des 493 m de la roche de Solutré, en Bourgogne, à 77 ans. Les douleurs disparaissent, les résultats se normalisent, Claude Gubler parle d’une « rémission spectaculaire ». Le président parle d’arrêter les traitements en raison des effets secondaires (prise de poids, baisse de la libido). Ses médecins s’y opposent. Qu’importe, le président croit avoir gagné son combat contre la maladie. Il est alors grandement temps de reprendre la combat politique – Mitterrand veut sa revanche contre Chirac après le sérieux revers essuyé aux législatives de 1986. C’est au cours d’une interview à Antenne 2, en mars 1988, qu’il annonce être candidat à sa succession. « Le pouvoir, c’est comme une thérapie, ça maintient en vie », confie le journaliste Jean-Pierre Elkabbach. Son camp politique est emballé, les praticiens qui le suivent nettement moins, Claude Gubler en tête : « Nous avions gagné la bataille politique et médicale pendant sept ans. Il me semblait impensable qu’on y arrive sept autres années. (…) Il a consulté ses conseillers politiques, il a refusé de consulter ses conseillers médicaux », regrette-t-il, amer.

Au début de l’été 1990, François Mitterrand convoque son médecin, Gubler, pour le traditionnel bulletin de santé mais, cette fois, le président lui demande de mentionner un éventuel problème de santé « et, au mois d’août, ajoute-t-il, vous direz que j’ai un cancer. » Les rumeurs font état d’une lettre de démission rédigée, dont Michel Charasse l’en aurait dissuadé. En 1992, le chef de l’État accepte de subir une opération. Ce sera le 11 septembre, avec le professeur Steg. Et le 16 du même mois, l’urologue donne une conférence de presse dans laquelle il annonce que le président a un cancer. Les propos, choisis par les conseillers du président, sont d’une extrême retenue, car, « derrière le mot cancer, il y a le mot mort », rappelle le journaliste François Bazin. Toujours est-il que c’est la première fois sous la Ve République qu’un chef d’État parle de sa maladie, se positionnant ainsi, ironiquement, comme un modèle de transparence après onze années de mensonges.

Tenir
Jean-Louis Bianco, secrétaire général de l’Élysée, le rappelle : François Mitterrand est porteur de lourdes responsabilités : il est non seulement président de la République française, il est aussi le symbole du premier président de gauche. Mais d’autres combats, nettement plus importants, vont le galvaniser : c’est le projet européen, c’est la bataille politique contre la droite, c’est la continuité de l’État. Il s’engage personnellement dans la campagne du référendum pour le traité de Maastricht, en 1992 : « Maastricht et le "oui" à l’Europe est, pour lui, presque l’aboutissement de sa vie politique et de ses deux septennats », révèle Jean Glavany. François Mitterrand se bat au quotidien pour se maintenir jusqu’au terme de son deuxième mandat. Il y parvient avec le secours de son premier ministre, de plus en plus sollicité au cours des neuf derniers mois. « Il y avait beaucoup de frustration, chez Mitterrand, de voir le pouvoir lui échapper et Balladur assurer l’intérim avec déjà une forme de majesté présidentielle », s’amuse le journaliste Alain Duhamel. Mais le président échappe au pire : la perte de ses facultés intellectuelles, ce qu’il redoutait le plus. De quoi donner, peut-être, plus de force encore à cette phrase énigmatique de l’une de ses dernières allocutions télévisuelles : « Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. »

Le documentaire est riche de témoignages de première main, ministres, conseillers, médecins et proches de François Mitterrand, parmi lesquels : Jean Glavany, ministre ; Jean-Louis Bianco, secrétairegénéral de l’Élysée ; Paulette Decraene, secrétaire du président ; Hubert Vedrine, ministre ; Jacques Attali, conseiller du président ; Claude Gubler, médecin du président ; Claude Kalfon, médecin militaire de l’Élysée ; Laurence Soudet, conseillère du président ; Frédéric Mitterrand, neveu du président ; Alain Duhamel, journaliste ; Jean-Pierre Elkabbach, journaliste ; Anne Lauvergeon, conseillère du président.

Sébastien Pouey

Sous la monarchie, il y avait la théorie des « deux corps du roi » de l'historien allemand Ernst Kantorowitz, illustrée au moment de la mort du souverain par la formule « Le roi est mort, vive le roi ». Sous la Ve République, de par la conception pseudo-monarchique du chef de l’État, ce mythe a survécu. C’est pourquoi la question de la santé du président est longtemps restée taboue. Et le décès en exercice du président Pompidou n’y a rien changé. Aussi François Mitterrand décide-t-il de garder le silence lorsque, six mois après son élection, le professeur Steg, un urologue réputé, confirme un diagnostique de cancer de la prostate. François Mitterand, qui avait été élu en promettant la transparence sur son état de santé, s’engage sur la pente glissante du mensonge d’État. Son médecin, le docteur Gubler, témoin précieux invité d’Un jour, une histoire, remplit bien des bulletins de santé officiels mais fait l’impasse sur les symptômes identifiés.

« C’était un homme du secret. Le secret était une survie », explique Roland Dumas, ministre sous sa présidence. Et pourtant, l’information aurait pu sortir. Le 19 novembre 1981, Paris Match rapporte la visite du président au début du mois au Val-de-Grâce,clichés à l’appui. La fuite ne peut venir que de l’hôpital qui est cependant réputé pour sa discrétion. Mitterrand est furieux et contraint de provoquer une interview dans laquelle il désinforme le public : le mensonge est institutionnalisé. Jean-Louis Bianco, secrétaire général de l’Élysée, restitue le contexte qui éclaire cette décision : « Ce n’était pas possible pour François Mitterrand, en 1981, de dire la vérité sur sa maladie, surtout avec l’événement historique que représente le premier président de gauche. »

L’état de grâce
Si l’état de grâce en politique renvoie d’ordinaire à ce surcroît de crédit dont bénéficie un président aussitôt après son élection, dans le cas du quatrième président de la Ve République, l’expression se rapporte à la santé de ce dernier, « un état de grâce physique, en quelque sorte », précise son neveu, Frédéric Mitterrand. En juin 1984, alors que le professeur Steg parle d’un sursis « de 3 mois à 3 ans » au premier diagnostique, l’ancien secrétaire du parti socialiste, comme guéri, part faire l’ascension des 493 m de la roche de Solutré, en Bourgogne, à 77 ans. Les douleurs disparaissent, les résultats se normalisent, Claude Gubler parle d’une « rémission spectaculaire ». Le président parle d’arrêter les traitements en raison des effets secondaires (prise de poids, baisse de la libido). Ses médecins s’y opposent. Qu’importe, le président croit avoir gagné son combat contre la maladie. Il est alors grandement temps de reprendre la combat politique – Mitterrand veut sa revanche contre Chirac après le sérieux revers essuyé aux législatives de 1986. C’est au cours d’une interview à Antenne 2, en mars 1988, qu’il annonce être candidat à sa succession. « Le pouvoir, c’est comme une thérapie, ça maintient en vie », confie le journaliste Jean-Pierre Elkabbach. Son camp politique est emballé, les praticiens qui le suivent nettement moins, Claude Gubler en tête : « Nous avions gagné la bataille politique et médicale pendant sept ans. Il me semblait impensable qu’on y arrive sept autres années. (…) Il a consulté ses conseillers politiques, il a refusé de consulter ses conseillers médicaux », regrette-t-il, amer.

Au début de l’été 1990, François Mitterrand convoque son médecin, Gubler, pour le traditionnel bulletin de santé mais, cette fois, le président lui demande de mentionner un éventuel problème de santé « et, au mois d’août, ajoute-t-il, vous direz que j’ai un cancer. » Les rumeurs font état d’une lettre de démission rédigée, dont Michel Charasse l’en aurait dissuadé. En 1992, le chef de l’État accepte de subir une opération. Ce sera le 11 septembre, avec le professeur Steg. Et le 16 du même mois, l’urologue donne une conférence de presse dans laquelle il annonce que le président a un cancer. Les propos, choisis par les conseillers du président, sont d’une extrême retenue, car, « derrière le mot cancer, il y a le mot mort », rappelle le journaliste François Bazin. Toujours est-il que c’est la première fois sous la Ve République qu’un chef d’État parle de sa maladie, se positionnant ainsi, ironiquement, comme un modèle de transparence après onze années de mensonges.

Tenir
Jean-Louis Bianco, secrétaire général de l’Élysée, le rappelle : François Mitterrand est porteur de lourdes responsabilités : il est non seulement président de la République française, il est aussi le symbole du premier président de gauche. Mais d’autres combats, nettement plus importants, vont le galvaniser : c’est le projet européen, c’est la bataille politique contre la droite, c’est la continuité de l’État. Il s’engage personnellement dans la campagne du référendum pour le traité de Maastricht, en 1992 : « Maastricht et le "oui" à l’Europe est, pour lui, presque l’aboutissement de sa vie politique et de ses deux septennats », révèle Jean Glavany. François Mitterrand se bat au quotidien pour se maintenir jusqu’au terme de son deuxième mandat. Il y parvient avec le secours de son premier ministre, de plus en plus sollicité au cours des neuf derniers mois. « Il y avait beaucoup de frustration, chez Mitterrand, de voir le pouvoir lui échapper et Balladur assurer l’intérim avec déjà une forme de majesté présidentielle », s’amuse le journaliste Alain Duhamel. Mais le président échappe au pire : la perte de ses facultés intellectuelles, ce qu’il redoutait le plus. De quoi donner, peut-être, plus de force encore à cette phrase énigmatique de l’une de ses dernières allocutions télévisuelles : « Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. »

Le documentaire est riche de témoignages de première main, ministres, conseillers, médecins et proches de François Mitterrand, parmi lesquels : Jean Glavany, ministre ; Jean-Louis Bianco, secrétairegénéral de l’Élysée ; Paulette Decraene, secrétaire du président ; Hubert Vedrine, ministre ; Jacques Attali, conseiller du président ; Claude Gubler, médecin du président ; Claude Kalfon, médecin militaire de l’Élysée ; Laurence Soudet, conseillère du président ; Frédéric Mitterrand, neveu du président ; Alain Duhamel, journaliste ; Jean-Pierre Elkabbach, journaliste ; Anne Lauvergeon, conseillère du président.

Sébastien Pouey