JJ de Félice
DOCUMENTAIRE

Jean-Jacques de Félice, la passion de la justice

ITINERAIRES
Mardi 11 juillet 2017 à 20h00 - Sur NC 1ère

« Mon histoire est le croisement d’influences et de rencontres avec toujours au cœur ce besoin primaire de justice et de dignité ».

Jean-Jacques de Félice

Durant plus d’un demi siècle Jean-Jacques de Felice a défendu auprès des tribunaux classiques ou d’exceptions (tribunaux militaires) les révoltés, les insoumis, les objecteurs de consciences, les réfugiés, les sans papiers et les sans grades de notre vaste monde. La justice était pour ce protestant discret et modeste non seulement une éthique mais un idéal de vie, une véritable passion. Des hommes et des femmes du monde entier qui ont croisés son chemin et souvent, qui lui doivent leur liberté, témoignent.

Réalisation : Mehdi Lallaoui
Auteur : Mehdi Lallaoui
Productions : Mémoires Vives Productions et NC 1ère
Durée : 52 minutes

Photos sur phototele.com
 ©Mémoires Vives Productions

Medhi Lalloui dresse le portrait et l’itinéraire de ce combattant des droits de l’homme et des peuples, ce passionné de justice. Rencontre.

Comment est né le projet du film ?

Ce documentaire est né de l’idée qu’il était important d’évoquer cet humaniste qui consacra toute sa vie à la défense des minorités, des sans droits et des colonisés. En Nouvelle-Calédonie, Jean-Jacques de Félice était très respecté, notamment auprès du peuple kanak car il a défendu durant cinquante ans toutes les causes importantes de l’histoire du pays. Il fut d’abord l’avocat de Nidoish Naisseline dès 1969, puis, aux côtés de Maître Gustave Téhio de la famille de Pierre Declerc, puis des tribus de Koindé et Ouipoint au début des années 1980 et de toutes les affaires qui ont suivies novembre 1984. Dans le Pacifique également, Jean-Jacques de Félice était connu pour être le défenseur des nationalistes polynésiens et des militants anti-nucléaire.

Comment avez-vous trouvé et choisi vos intervenants, visages et témoignages de ceux qu’il a défendus ?

Cela n’a pas été facile tant les causes défendues par Jean-Jacques de Félice ont été nombreuses. Il fut le défenseur de Régis Debray lors de son arrestation à la mort de Ché Guevara, il fut au procès de Nelson Mandela à Prétoria en 1964 et fonda le tout premier comité européen contre l’Apartheid… Il défendit les réfugiés Kurdes, basques espagnols, les sans-logis car il était très lié à l’Abbé Pierre que nous apercevons à ses côtés dans le film.

Donc j’ai pris une demi-douzaine de causes parmi les centaines de dossiers qu’il eut à traité. Cela va de la défense des condamnées à mort du FLN durant la guerre d’Algérie, en passant par la défense des objecteurs de conscience et des pacifistes en prolongeant les témoignages par les familles du Larzac, Tahiti et ses amis de la Ligue des droits de l’homme dont il fut longtemps le vice -président. Et bien entendu, une large partie du film témoigne de son engagement aux côtés du peuple kanak. 

Comment Jean-Jacques de Félice a-t-il été mis en contact avec le peuple Kanak ?

L’engagement de Jean-Jacques de Félice aux côtés du peuple Kanak date de 1969 lorsqu’on fit appel à ses services pour la défense du jeune Nidoish Naisseline accusé d’avoir commis un tract (en Français et en Maré) dénonçant le colonialisme et appelant à la révolte de la jeunesse kanak. (Tract original que nous montrons dans le film). C’est par l’intermédiaire des familles Protestantes de Montmorency qui avait accueilli Nidoish lors de ses études en France que le lien s’est fait, parce que de Félice était originaire de l’endroit. Cette première rencontre avec le peuple kanak et la Nouvelle-Calédonie que nous évoquons dans le film fut pour de Félice un choc et un bouleversement qui l’accompagnera toute sa vie.

Indigné par la situation coloniale qu’il y découvre à l’époque, il devient, à partir de 1977, l’animateur d’un collectif d’avocats (Michel Tubiana, François Roux - qui intervient dans notre film - Alain Ottan et Gustave Tehio) défendant les militants indépendantistes et le peuple kanak tout entier. Comme je vous l’ai dit, il sera le conseil de la famille du secrétaire général de l’UC Pierre Declercq (assassiné en 1980), des militants emprisonnés de Koindé et de Ouipoint, de la famille Tjibaou dont 10 membres de la tribu de Tiendanite furent assassinés lors d’une embuscade en décembre 1984, des familles d’Eloi Machoro et de Marcel Nonnaro « neutralisés » par le GIGN en 1985, etc… Une amitié solide le liera à Jean-Marie Tjibaou qui ne manquait jamais lui rendre visite lors de ses passages à Paris. La cause du peuple kanak lui importe tant qu’il sera président de l’Association Information et Soutien aux Droits du Peuple Kanak (AISDPK) et qui lui fera dire « Le peuple kanak représente pour moi, le symbole assez pur de ce que l’on peut faire quand on lutte pour sa dignité ».

Après la tragédie d’Ouvéa (dont il défendra les rescapés emprisonnés en France) ; il a accueilli à sa sortie de prison Djubeli Wea, déçu par les accords de Matignon et meurtri à jamais par la perte de 19 militants lors de l’assaut de la grotte. C’est ainsi que depuis sa disparition il y a huit ans, chaque année à Paris les jeunes kanak stagiaires ou étudiants organisent une cérémonie en sa mémoire.

Puis par la suite, il organise une rencontre entre les paysans du Larzac et les Kanak, pourquoi ?

C’est à Partir de 1985 que Jean-Jacques de Félice présente Jean-Marie Tjibaou, Paul Néaoutyine, Yeiwéné Yeiwéné et les autres militants indépendantistes aux paysans du Larzac parce que comme il disait, il y avait une similitude aux deux extrémités du monde d’un combat pour la terre et aussi parce que même si l’avocat défendait des causes ayant engendré des violences, de Félice était un pacifiste non violent. Il voulait promouvoir la non-violence comme les paysans du Larzac dont il fut le défenseur. Ainsi aujourd’hui encore une case en pierre est dressée sur un terrain donné au peuple Kanak par les paysans du Larzac.

Du film on retient l’image d’un avocat humaniste, discret et extrêmement humble, est-ce que c’est le portrait que vous souhaitiez diffuser ?

 Effectivement, à travers ce film je voulais donner à voir et à comprendre un personnage et un engagement humaniste aux côtés des plus faible. Une éthique également, celle de la justice et du respect de l’autre. Je souhaitais évoquer cet homme d’une détermination entière à combattre les injustices de ce monde, sans jamais se mettre en avant, sans jamais élever la voix ou manquer de respect à qui que ce soit. L’humilité, c’est ce que Jean-Jacques de Félice partageait le mieux avec ses amis du Pacifique.

Au-delà de ce portrait, le film revient sur l’histoire de la France et de ses engagements envers les peuples colonisés du XXème siècle…

Jean-Jacques de Félice n’était pas un anti-colonialiste de salon. Il avait parcouru les prisons du monde entier, avait défendu des opposants face aux dictatures. Il avait vu de ses yeux des sociétés ou des minorités imposées par la violence leurs dominations à des majorités. Son engagement était le fait de son vécu. De l’Algérie au Pacifique en passant par les Antilles, l’Amérique latine ou l’Afrique du Sud raciste, il n’a eu de cesse de défendre les droits des peuples à la liberté. Ce qui ne l’a pas empêché une fois les pays indépendants à critiquer les nouveaux dirigeants qui une fois au pouvoir se comportaient injustement envers leurs opposants.

Je voudrais préciser aussi que Jean Jacques de Félice était un membre actif de la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des réfugiés), cofondateur du GISTI (Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés, devenu Groupe d’information et de soutien des immigré-e-s) et du GIP (Groupe d’information sur les prisons), il est sans cesse aux côtés des sans-papiers, des détenus, des sans-droits. Des « sans-logements » aussi, avec le DAL (Droit au logement).

Maître de Félice a-t-il gagné tous ses combats ?

Certainement pas. Mais beaucoup des plaidoiries de procès perdu ont eu des retentissements incroyables, permettant de faire connaitre une cause, des personnes oubliées dans le fond des prisons et aussi et surtout de faire évoluer le Droit. Pour Jean-Jacques de Félice, être avocat, c’est avant tout accompagner une personne, rompre un isolement. Défendre une dignité, inscrire cette défense dans des luttes collectives pour faire évoluer les mentalités, la justice et le droit. Se voulant « avocat artisanal », il a pour souci de pratiquer une défense collective, d’être au sein de groupes et de réseaux, y prenant souvent des responsabilités.

Les archives ont-elles été difficiles à trouver ?

 Les gens qui regardent un film de 52 minutes, ne se rendent toujours pas compte que c’est un gros travail que de raconter une histoire qui couvre un demi-siècle. Et c’est aussi un gros travail de donner à voir des images inconnues ou oubliées. Je suis très fier d’avoir trouvé des archives qui donnent à voir des situations que l’on évoque dans le film notamment en ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie.

Quel est votre prochain projet ?

Je commence au mois de septembre le tournage d’un documentaire autour de l’année référendaire intitulé « Kalédonie, la métamorphose du Caillou» qui m’amènera de nouveau à sillonner le pays et les îles. Ce sera un bilan de ces trente dernières années (depuis les accords de Matignons) et un questionnement sur les espoirs ou les inquiétudes que soulèvent le prochain référendum d’autodétermination. Pour ce film, je questionnerai surtout les jeunes générations

Medhi Lallaoui
JJ de Félice

Né en 1928, Jean-Jacques de Felice est décédé en 2008 au cœur de l’été et autour des dossiers de ses futures plaidoiries en soutien aux exilés. Sa vie, il la consacra à défendre tous ce que la terre qualifie de parias, tout ce que la société considère comme déviant de ses règles et de ses lois d’alors. Tous ceux qui l’ont côtoyé évoquent un homme profondément humain et attentif aux autres, un avocat qui ne s’embarrassait pas du rang ou du statut social de ses clients pour s’engager à leurs côtés. Militant des droits humains, sans jamais adhérer à un parti politique, ses multiples engagements reflétaient les préoccupations d’un honnête homme de XXème siècle mais aussi les combats pour la justice de ces décennies. Ils témoignent, pour l’histoire, des nombreux combats politiques et sociaux dont il avait été le soutien indéfectible. Parmi ses engagements, il fut vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme, fondateur du GISTI (Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés), co-fondateur du DAL (Droit Au Logement), président de l’AISDPK (Association Information et Soutien aux Droits du Peuple Kanak) … Il fut des premiers à combattre la peine de mort et l’utilisation de la torture. Il défendit les militants Polynésiens en lutte contre les essais nucléaires de Mururoa, les réfugiés Italiens et les militants basques, les paysans du Larzac contre la confiscation de leur terre au profit de l’extension d’un camp militaire. Aux côtés de l’Abbé-Pierre dont il fut l’ami et le complice, il défendit les mal-logés, les sans-papiers et aussi les déboutés du droits d’asile. Tout ce que la place parisienne comptait de combat pour le droit et la dignité défila dans son cabinet.

Jusqu'à son dernier souffle, Jean Jacques de Félice travaillait sur ses dossiers d’aide aux sans- papiers, aux kurdes et à tous ceux qui n’avaient pas les moyens de se payer un avocat digne de ce nom.

Les personnages du film (par ordre d’apparition)

Ali Haroun. Ancien responsable de la fédération de France du FLN
Louis Joinet. Fondateur du Syndicat de la magistrature, expert de l’ONU pour les Droits de l’homme
François Roux. Avocat, défenseur des foulards rouges
Maurice Montet.  Président de l’Union Pacifiste.
Bruno Cotte. Ex Président de la chambre criminelle de la cour de cassation
Christiane et Pierre Burguière. Comité de lutte du Larzac
Marizette Tarlier. Militante du Larzac
Danièle Lochack. Ancienne Présidente du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), membre de la ligue des droits de l'homme
Didier Tangopi. Ancien responsable à Paris du comité des familles de prisonniers d’Ouvéa
Benoit Tangopi. Ancien prisonnier de l’affaire d’Ouvéa
Jean-Baptiste Eyraud. Président du DAL (Droit au Logement)