RENDEZ VOUS EN TERRE INCONNUE

Rendez-vous en terre inconnue

Avec Cristiana Reali chez les Aborigènes Worrorra
Documentaire - Inédit - Mardi 18 avril 2017 à 20.55

Pour les 10 ans de Rendez-vous en terre inconnue, Frédéric Lopez emmène Cristiana Reali rencontrer les Aborigènes Worrorra sur les terres immenses d'Australie. Un numéro atypique et bouleversant. Entretiens.

Cette émission est différente des précédentes. Comment l’idée de ce numéro vous est-elle venue ?
Ça fait plusieurs années qu’avec l’équipe de Rendez-vous en terre inconnue, on pense aux Aborigènes. Contrairement aux autres peuples autochtones qu’on est allés voir, les Aborigènes connaissent notre monde, enfin, un ersatz de notre monde qui a nié leur identité et les a parqués dans des communautés... Ce rejet, ils vont essayer de le fuir en réintégrant la nature. C’est vrai que c’est un angle différent. Mais finalement, la question de l’identité, des racines reste la même. Leur sort est emblématique de celui des autres peuples... Ils sont comme les petits-enfants de tous ceux qu’on a filmés jusqu’à aujourd’hui. On ne pouvait pas ne pas y aller. Et ce 20e numéro, qui sonne comme un anniversaire symbolique, était l’occasion de traiter cette histoire forte, particulière, celle d’un peuple attachant qui tente de retrouver sa fierté, après avoir été lésé, détruit. On est allé voir des survivants.

La famille que vous avez rencontrée a traversé de terribles épreuves...
À travers elle, on comprend ce qui est arrivé aux Aborigènes. Ce peuple vivait en Australie depuis 40 000 ans. Il y a 200 ans, les Anglais débarquent et s’approprient les terres après avoir considéré qu’elles n’étaient pas habitées. En 1967 – on n’imagine pas que ce soit aussi récent –, les Aborigènes n’étaient pas considérés comme des citoyens. Ils se sentaient même relégués au niveau de la faune et de la flore. C’est un peuple spolié de ses terres, à qui on a même enlevé des milliers d’enfants pour servir les Blancs. C’est la génération volée. Pendant longtemps, il a été question de faire disparaître toutes traces des Aborigènes, notamment par le métissage forcé. Les viols étaient monnaie courante. Et l’effort pour les rendre invisibles a payé. Même si cette partie sombre de l’histoire du pays est enseignée à l’école, la plupart des Australiens n’ont pas conscience de la gravité des événements, ils sont déconnectés de la réalité des Aborigènes aujourd’hui.

Comment avez-vous été mis en contact avec Gary et sa famille ?
Franck Desplanques, le rédacteur en chef de l’émission, s’est renseigné auprès de nombreuses personnes sur place (personnalités aborigènes, ONG, chercheurs, etc.). Puis il a concentré ses recherches sur le Nord-Ouest de cet immense pays, car c’est dans le Kimberley que la culture aborigène semblait la plus préservée, contrairement au reste de l’Australie. Durant le travail de repérages, il a rencontré Gary, une personne extraordinaire. C’est l’arbre au milieu du torrent, celui qui essaie d’aller à contre-courant de l’histoire et qui a ce rêve de retourner vivre dans la nature. Mais comment vivre en autarcie dans un milieu hostile ? Les paysages de l’Australie font partie des plus isolés de la planète, c’est immense. À l’image, les lieux sont idylliques, mais on ne pouvait pas en profiter à cause des crocodiles et des requins ! Gary rêve de faire comme ses ancêtres, d’être un modèle, il espère inspirer les autres. Et je l’en crois capable.

Il vous remercie d’avoir partagé son quotidien, peut-être aussi de mettre en lumière l’histoire des Aborigènes ?
Ce qui est sûr, c’est que notre présence les a fait exister, ils se sont sentis écoutés, regardés. À ce propos, au moment des adieux, Gary m’a bouleversé en me disant : « Je suis heureux que vous soyez venus parce que, grâce à vous, je me suis senti fier de moi, et ça faisait longtemps que j’avais pas ressenti ça. »

Pourquoi être allé chercher Cristiana Reali pour ce 20e numéro ?
Je l’ai rencontrée sur La Parenthèse inattendue, et on avait partagé une certaine connivence... En Australie, j’ai adoré être à ses côtés et voir l’aventure à travers son regard. Cristiana était à l’affût de tout, elle a un côté « on la lui fait pas », à la Agatha Christie. Elle me posait des questions auxquelles je n’avais pas pensé. Elle était très concentrée, dans l’instant présent, pleinement consciente des gens qu’elle rencontrait. Quand Gary nous a proposé d’aller dans la communauté, je dois avouer que j’avais peur de me confronter à cette souffrance. Cristiana, elle, a répondu qu’elle voulait s’y rendre. Elle ne lâche pas. C’est quelqu’un qui veut comprendre. Ensemble, on a fait un voyage extraordinaire, auprès de personnes d’une beauté et d’une rugosité impressionnantes.

Si vous ne deviez retenir qu’un moment de ce 20e numéro...
C’est quand Gary me regarde et me dit en aborigène « frère ». C’était la première fois qu’il parlait aborigène, et c’était troublant, d’autant plus que ce n’est pas un type expansif, il est très pudique. Cette rencontre fait partie de celles qui m’ont vraiment marqué. Ça me bouleverse d’avoir un frère aborigène à l’autre bout de la planète.

 

Propos recueillis par Mona Guerre et Aline Guyard

Les Enjeux de l'expédition

Pour ce 20e opus, Rendez-vous en terre inconnue nous emporte dans une aventure bouleversante et exceptionnelle à la rencontre des Aborigènes d’Australie. Pour Cristiana Reali, comme pour Frédéric Lopez, le voyage est un véritable choc. Une expérience poignante et inoubliable. 

Après avoir accepté de s’envoler les yeux bandés, sans rien connaître de son aventure à venir, Cristiana Reali découvre sa destination en plein vol : les côtes sauvages du Kimberley, au nord-ouest de l’Australie. Dans cet éden entre terre et mer, au coeur de paysages à couper le souffle, elle part à la rencontre d’une famille aborigène du clan des Worrorra. Des hommes et des femmes qui cherchent leur place dans l’Australie d’aujourd’hui et décident de revenir sur la terre de leurs ancêtres. Mais pour ça, ils doivent tout réapprendre. 

Premiers habitants de l’Australie, les Aborigènes peuplent l’île-continent depuis plus de 40 000 ans. Ils sont les représentants d’une des plus anciennes civilisations au monde. Mais lorsque les explorateurs britanniques découvrent l’île au XVIIIe siècle, ils considèrent que le pays est vide et n’appartient à personne. Ils s’approprient alors les terres sans plus de formalités, et l’Australie devient une colonie de l’Empire. Rapidement, tout est mis en oeuvre pour faire disparaître les Aborigènes. Dépossédés de leurs terres ancestrales, ils sont envoyés dans des réserves et des missions, assimilés de force et mis au ban de la société. 

En moins de 100 ans, l’univers des Aborigènes s’est effondré. Ces derniers sont passés d’un mode de vie de chasseurs-cueilleurs nomades à la sédentarité ; d’une autonomie totale à une dépendance aux subsides de l’État. Cette fulgurante transformation a fait sombrer plusieurs générations d’Aborigènes dans la déshérence. 

Depuis peu, certaines familles aborigènes tentent de relever la tête. Fuir les villes et retourner sur la terre de leurs ancêtres se présente alors comme un espoir, une façon de retrouver fierté et dignité. 

C’est le choix qu’on fait Gary et les siens. Ils ont décidé de quitter leur communauté créée de toutes pièces, il y a presque 40 ans, par des missionnaires. Ils veulent revenir aux sources et apprendre une existence simple, dans la nature. Mais Gary et sa famille sont nés et ont grandi en ville, loin des eaux turquoise et des îles du territoire ancestral des Worrorra. Aujourd’hui, ils doivent se réapproprier les gestes essentiels qui leur permettront de se nourrir et de survivre sur ces terres sauvages. Ils souhaitent apprivoiser un quotidien qui était encore celui des Worrorra il y a moins de 100 ans. Renouer avec le passé pour se construire un avenir plus beau, un pari vital pour Gary, Sirita et leurs enfants. Ils entraînent Cristiana Reali et Frédéric Lopez avec eux dans ce voyage initiatique, cette quête. 

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Un film écrit par Frédéric Lopez et Franck Desplanques 
Avec la collaboration de Christian Gaume 
Réalisé par Christian Gaume 
Une production Adenium TV France 
Produit par Frédéric Lopez et Gilles Bérard 
Producteur exécutif : Laurent Baujard 
Rédacteur en chef : Franck Desplanques 

RENDEZ VOUS EN TERRE INCONNUE

Votre réaction quand Frédéric Lopez vous révèle la destination ?
Très étonnée, parce que je pensais que le peuple aborigène était modernisé, qu’il vivait en ville. Je ne connaissais pas vraiment leur histoire, seulement que l’Australie a été une colonie, que les Aborigènes ont connu le même sort que les Indiens d’Amérique, et que la plupart devait vivre dans la pauvreté. Quand Frédéric m’a dit qu’on allait voir les Worrorra, j’ai cru qu’une éventuelle dernière tribu existait encore au fin fond d’un bush ! Et lorsque Gary est arrivé sur son bateau, j’ai pensé que c’était un Worrorra qui avait choisi de vivre dans la modernité et qui allait nous emmener voir sa tribu. Mais après les trois jours de voyage pour atteindre le Kimberley, je me suis aperçu que ce n’était pas du tout ce que je m’étais imaginé. Gary et sa famille ont fait le choix de quitter la ville pour retourner vivre sur la terre de leurs ancêtres et renouer avec leurs traditions. Ils ont commencé à s’installer sur une île au large des côtes et à vivre en autarcie. Mais je ne comprenais pas vraiment leur démarche.

Pour quelles raisons ?
Après trois jours passés à leurs côtés, à pêcher, à discuter, de plage en plage, je n’arrivais pas à saisir vraiment les raisons de ce retour à la terre. J’apprenais petit à petit leur histoire, et me disais qu’ils fuyaient la pauvreté. Mais je sentais qu’il manquait quelque chose pour bien comprendre leur motivation. Un soir, j’en discutais avec Frédéric. Et le lendemain, Gary, quand il a compris que je m’interrogeais beaucoup, nous a proposé de nous rendre à l’endroit où il vivait : la communauté. J’ai été très touchée par son geste parce que ça impliquait qu’il se dévoile un peu plus, lui qui est très pudique. Son histoire, qui est aussi celle du peuple aborigène, m’a permis de comprendre le sens de sa démarche. Son témoignage et celui de son cousin m’ont tellement bouleversée... Je ne posais plus de questions, je n’étais plus que dans l’écoute.

Entre les femmes worrorra et vous, on sent une vraie complicité, qui se trouve renforcée à votre retour de la communauté.
Déjà, à mon arrivée, le lien s’était vite créé. Elles m’ont rapidement prise avec elles, et on parlait beaucoup ensemble, de tout et de rien. On veillait même très tard. C’est une habitude d’ailleurs que j’ai avec ma mère et mes soeur de rester jusqu’à pas d’heure à parler ! Mais autant je pouvais être bavarde, autant je me taisais pour les écouter parce que j’avais peur de freiner leur élan à la confidence ou la discussion. Et puis, je demandais aussi l’autorisation de poser une question devant la caméra. Si elles étaient d’accord, je le faisais, si non, je les interrogeais hors caméra.

La présence de la caméra vous a-t-elle gênée par moments ?
C’est un exercice auquel il faut s’habituer, mais elle ne m’a pas gênée. L’équipe de Rendez-vous en terre inconnue a fait montre de respect envers la famille mais également envers moi. On me laissait le temps, on ne me forçait en rien : je n’étais pas obligée de dire impérativement quelque chose. Si j’avais envie de déconner, de rire avec eux, je le faisais. Si je n’avais pas envie de manger, je ne le faisais pas. Je voulais garder ma spontanéité. Je n’allais pas, sous prétexte qu’il y avait une caméra, être quelqu’un d’autre. Je voulais jouer le jeu, mais tout en étant moi-même, pas ce que la télévision aurait voulu que je sois.

Que retiendrez-vous de cette famille ?
Chaque membre porte en lui une histoire tragique. Retour aux sources, militantisme, question de survie... Les raisons de leur installation sur l’île sont diverses. Pourtant, ils partagent le même but et parviennent petit à petit à l’atteindre. Quand je vois comment les enfants sont heureux sur cette île, comment toute la famille semble apaisée en retrouvant la terre de leurs ancêtres, je me dis qu’ils ont une force intérieure incroyable. Celle de fuir cette espèce de dépression générale dont souffrent les Aborigènes dans les communautés.

 

Propos recueillis par Mona Guerre et Aline Guyard


Vingt numéros, dix ans d’existence... Quel bilan tirez-vous de l’émission ?
C’est une chance extraordinaire de faire cette émission : je parcours le monde à la rencontre de personnes hors du commun, partage leur quotidien, recueille leurs confidences. Mon regard sur l’existence a changé grâce à elles. On souhaitait faire une émission qui ait du sens, et les téléspectateurs, de plus en plus nombreux au fil des numéros, l’ont bien ressenti. Je pense à toutes ces personnalités qui m’ont fait une totale confiance, et à mon équipe aussi qui est restée la même depuis dix ans. Ensemble, on a traversé pas mal d’épreuves, à moins 40° comme à plus 40°, au milieu de nulle part, 24h / 24. Ces conditions extrêmes ont soudé des liens indéfectibles.

Et si vous étiez le prochain invité de Rendez-vous en terre inconnue ?
Je ne sais pas si je serais capable de lâcher prise comme je demande aux invités de le faire. Ils ne savent pas où ils vont et, une fois arrivés, ils sont prisonniers du temps présent, ce qui rend les émotions très fortes parce qu’ils ont pleinement conscience de ce qu’ils vivent. Je n’ai jamais connu ça et je pense que je serais moins spontané parce qu’en tant que journaliste, j’aurais tendance à être hyperdocumenté sur la destination.

Gardez-vous contact avec les personnes rencontrées ?
La plupart n’ont pas de téléphone portable, mais les traducteurs nous donnent des nouvelles. On sait qui est à l’école, qui a changé de vie. C’est une sorte de grande famille éparpillée sur la planète. À ce propos, une émission spéciale, la 4e du genre, sera consacrée à trois des communautés que nous avons rencontrées. Ce sera l’occasion de voir leurs réactions à la découverte du film, d’apprendre ce qu’ils sont devenus. Sur le plateau, on aura les invités respectifs de chaque film. Ce seront des moments très forts pour tous.

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