ELISE LUCET

Cash investigation

Travail, ton univers impitoyable
Magazine d'information - Inédit - Mardi 26 septembre 2017 à 20.55

Dans un monde où le marché de l’emploi est en pleine mutation, Cash investigation est allé voir de plus près les conditions de travail des grandes entreprises et met en lumière cette casse psychologique, physique et sociale du travail, en recueillant les témoignages de salariés.

Votre enquête se concentre essentiellement sur deux entreprises. Pourquoi les avoir choisies ?
Lidl et Free sont d’incontestables réussites économiques. Ce sont des entreprises qui se portent bien, qui recrutent en CDI, ce qui n’est pas rien dans le contexte actuel. De plus, elles jouissent d’une bonne image auprès des consommateurs. En 2012, Lidl a entamé un important changement stratégique afin de sortir du hard-discount, ce qui s’est traduit par une montée en gamme de ses produits. Nous avons cherché à savoir si cette évolution a également profité à ses salariés. En ce qui concerne Free, j’ai été frappée, durant l’été 2016, par une interview dans Society de son fondateur, Xavier Niel. Il reconnaissait, ce qui est assez rare pour un patron, que les salariés des centres d’appels faisaient un métier « horrible », et même « le pire des jobs ». Sachant qu'environ 6 000 salariés de Free, c’est-à-dire la majorité, travaillent dans ces « call centers », cela nous a donné envie d’en savoir plus.

Qu’est-il ressorti de ce reportage ?
Alors que l’opérateur mobile véhicule une image cool, jeune, rebelle, certains témoignages nous racontent une toute autre version ; les moindres signes de contestation peuvent être réprimés. Des anciens de chez Free ont eu l’impression d’avoir été des salariés jetables. Ils nous ont raconté des licenciements pour le moindre faux pas. En ce qui concerne Lidl, nous avons enquêté sur les conditions de travail dans les entrepôts. Les préparateurs de commandes travaillent avec ce qu’on appelle la « commande vocale ». Toute la journée, le préparateur reçoit des ordres d’une machine, par le biais d’un casque audio. Cette technologie permet d’augmenter la productivité.

Cette technologie est-elle nocive pour la santé ?
Beaucoup de chercheurs s’inquiètent aujourd’hui de l’impact de cette technologie sur la santé physique et mentale des salariés. C'est du taylorisme à l'heure du numérique. Par ailleurs, les préparateurs sont soumis à des objectifs de production et à des cadences très élevées. Nous avons pu estimer ce qu’un salarié porte en une journée : jusqu’à 8 tonnes ! Je vous laisse imaginer l’impact sur leur santé.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées au cours de votre enquête ?
Le plus difficile a été de convaincre les salariés de parler face-caméra. Au téléphone, beaucoup sont prêts à raconter ce qu’ils vivent ; devant une caméra, c’est tout autre chose. Quand vous êtes dans une entreprise, vous avez peur de perdre votre emploi si vous témoignez. D’autant plus si vous avez déjà vécu des situations compliquées avec votre hiérarchie.
Il faut savoir que dès qu’on évoque les conditions de travail, la parole est limitée chez les salariés. Il a donc fallu inventer un nouveau mode de narration. Nous avons opté pour le dessin animé afin de faire exister les témoins, raconter ce qu’ils avaient enduré et, finalement, pour que leur parole soit tout de même entendue dans ce film.

Le principe de l’émission est de confronter des responsables aux résultats d’une enquête. Comment ont réagi Lidl et Free ?
Les deux entreprises ont accepté d’être interrogées par Élise Lucet. Cela nous permet d’avoir deux longues interviews où des responsables de Lidl et Free peuvent argumenter et donner leur point de vue face aux éléments que nous mettons sur la table.
La position des entreprises a évolué face à Cash investigation. Elles se sont rendu compte que la politique de la chaise vide n’était pas une bonne idée, l’absence de réponse pouvant être désastreuse pour l’image de ces dernières.

Votre enquête a débuté dans le contexte de la loi « El Khomri », elle est diffusée dans celui de la réforme entreprise par le gouvernement Philippe. On parle à nouveau de CDI un peu trop protégés, d’une législation qu’il faudrait plus flexible... Cette thématique est d’actualité ?
Notre enquête ne porte absolument pas sur ce projet de loi, c’est un parallèle intéressant avec le contexte : nous parlons des conditions de travail à partir de cas concrets.
Au cours de cette enquête, j’ai pu découvrir des entreprises qui embauchent en CDI, mais cela ne les empêche nullement de licencier. Chez Lidl, par exemple, un salarié peut être licencié pour inaptitude physique. Que devient-on une fois licencié, lorsqu’on a développé une maladie professionnelle ou après avoir été victime d’un accident de travail? Je crois que cela devrait faire partie de toute réflexion sur le travail.

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