A. Badou, G. Depardieu, M. Sapin
Soirée continue Gérard Depardieu

Drôle d'endroit pour une rencontre

Précédé du documentaire « Gérard Depardieu, l’homme dont le père ne parlait pas »
Magazine - Inédit - Vendredi 14 avril à 22.30

Gérard Depardieu s’invite dans la soirée continue de France 3. En deuxième partie de soirée, le colosse du cinéma français ouvre les portes de son domicile parisien à Ali Baddou pour Drôle d’endroit pour une rencontre.

En première partie de soirée, place au documentaire Depardieu, l’homme dont le père ne parlait pas, de Gérard Miller.

À la veille de cette soirée mémorable, Mathieu Sapin, auteur de la BD Gérard et moi, cinq années dans les pattes de Gérard Depardieu, et qui participe à Drôle d’endroit pour une rencontre, répond à nos questions. Entretien.

Pourquoi avoir voulu réaliser ce projet de faire une BD sur Gérard Depardieu ?
Je souhaitais aller au-delà du personnage médiatique. L’ayant approché dans le cadre d’un documentaire pour Arte en 2012, qui s’intitulait Retour au Caucase, j’ai voulu aller plus loin que cette simple rencontre pour montrer qui est véritablement l’homme derrière l’acteur. Or, pour cela, il fallait que je passe beaucoup de temps avec lui. La démesure du personnage fut aussi une source de motivation, car je n’avais jamais rencontré de ma vie quelqu’un comme lui, à la fois excentrique mais, surtout, généreux et très émotif.

A-t-il accepté ce projet artistique facilement ?
Oui, il a tout de suite été très ouvert, n’opposant aucune objection à ce que je le suive, et que je transpose sa vie en BD. Il m’a volontiers embarqué dans toutes sortes d’aventures déjantées. Nous avons voyagé, rencontré beaucoup de gens, fait la bringue, et nous nous sommes retrouvés dans des situations totalement improbables. C’est un aventurier, adorateur de liberté, qui a besoin d’être en perpétuel mouvement. Être en déplacement lui procure sans doute le sentiment d’échapper au quotidien.

Racontez-nous quelques-unes des anecdotes vécues à ses côtés.
Notre première rencontre s’est faite à Bakou, en Azerbaïdjan. Son premier réflexe fut de m’emmener à la piscine de l’hôtel. Sauf que je n’avais pas de maillot de bain. Du coup, il m’a simplement dit : « C’est pas grave, baigne-toi en slip ! »
À peine cinq minutes après avoir fait sa connaissance, je me suis retrouvé à barboter dans l’eau avec lui. On a ensuite pris une douche… Sauf qu’en Azerbaïdjan, ce sont des douches à l’orientale, ouvertes sur l’extérieur. Tout le monde peut donc vous voir. C’est ainsi que je me suis retrouvé nu comme un ver avec Gérard Depardieu, aux yeux et au su de tout le monde. À ce moment-là, j’ai réellement compris que ce type n’avait rien à faire de tout !

Une autre fois, nous étions à Moscou. Pour lui faire plaisir, les responsables d’un grand musée ont ouvert l’établissement de nuit, exprès pour l’accueillir. Finalement, sur un coup de tête, il a renoncé au dernier moment, préférant rentrer dormir. J’ai donc dû m’y rendre seul, pour ne pas vexer les officiels.

Il n’a pas l’air simple à gérer ?
Personne ne peut le gérer, cela est certain. Mais c’est sûrement mieux ainsi. Néanmoins, il aime le contact humain et les rencontres. Il faut simplement le laisser faire les choses à sa guise. Si vous tentez de le canaliser, vous aurez du mal à vous entendre avec lui.

Il a une image d’artiste incompris aux yeux de beaucoup de monde. Pensez-vous avoir réussi à le cerner ?
Le cerner, je ne crois pas… Mais je pense que ma bande dessinée permet de mieux le comprendre. J’espère par ce travail contribuer à lever un peu le voile du mystère et du paradoxe qui l’entoure. Il peut être très doux, comme très emporté. Très joyeux ou profondément triste. Il peut faire preuve d’une palette d’humeurs très variée. Or, cela peut, il est vrai, déconcerter les gens.

Vous participez avec lui à l’émission Drôle d’endroit pour une rencontre… Est-il le même face caméra et en dehors des plateaux ?
Oui, totalement. Il est égal à lui-même en toutes circonstances. Comme il se plaît à le marteler lui-même, il se « moque de son image ». Cet homme n’est jamais dans une posture, ou une espèce de fausse attitude. Lui-même a d’ailleurs demandé que je ne lui fasse aucun cadeau, et à ce que je restitue la vérité dans mes dessins, qu’elle soit ou non à son avantage.

Comment s’est déroulé le tournage ?
Déjà, en ce qui concerne Depardieu, on ne peut jamais réellement organiser les choses. Au début, il n’avait accepté que dix minutes d’interview. Puis, au final, il parlé pendant près d’une heure et demie. C’était aussi amusant de voir la contradiction entre les méthodes de travail en télévision, qui consistent à tout planifier et à ne rien laisser au hasard, et le comportement en tout point imprévisible de Gérard. Ayant été l’intermédiaire entre Gérard et la production, j’étais un peu pris entre deux courants. Il a fallu que je passe beaucoup de temps à rassurer les équipes, en leur disant que tout aller bien se passer, mais à condition de lâcher prise, et de ne pas vouloir contrôler le cours des choses. 

Plus globalement, quel souvenir gardez-vous de ces cinq dernières années passées aux côtés de Gérard Depardieu ?
Je suis étonné par la notoriété qui est la sienne, tant en France qu’à l’étranger, et à quel point cela peut être pesant d’être Depardieu au quotidien. Faire quelque chose de basique comme aller au restaurant, ou au cinéma, est tout bonnement impossible pour lui. Cela dit, il mène tout l’inverse d’une vie calme et ennuyeuse, car à ses côtés tout devient possible.

On prend d’ailleurs facilement goût à la vie auprès d’un tel personnage. Pour ma part, si j’avais eu le temps et l’énergie nécessaires, j’aurais adoré prolonger l’expérience passée à ses côtés…

Propos recueillis par Yannick Sado

G. Depardieu et A. Baddou

Drôle d'endroit pour une rencontre

Présenté par Ali Baddou

Produit par Program 33
en association avec France 3

 

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Gérard Depardieu, l’homme dont le père ne parlait pas

90 minutes

Documentaire réalisé par Gérard Miller et Anaïs Feuillette - 2015
Produit par Morgane et Deux cafés l’addition

À 20.55

GERARD DEPARLIEU

Le psychanalyste Gérard Miller et Anaïs Feuillette s’intéressent à Gérard Depardieu, homme hors du commun et plein de paradoxes. Ce film riche en images d’archives et en témoignages raconte l’histoire d’un des acteurs les plus étonnants de ces cinquante dernières années. Un écorché vif, force de la nature mais fragile à la fois. Un enfant que la mère ne voulait pas et dont le père était mutique…

 

Entretien avec Gérard Miller, co-auteur et coréalisateur du documentaire

 

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à Gérard Depardieu ? Est-il ce qu’on pourrait appeler « un bon client » pour un psy ?
Je ne suis pas un juge, je ne répartis pas les torts et je ne me m’érige pas non plus en avocat. Ce qui m’intéresse, ce sont les destins. Le destin de tout un chacun quand je suis dans mon cabinet, le destin des personnages publics quand je réalise un documentaire en prime time. Et quand un psychanalyste regarde ce qui se passe derrière le miroir où va se promener Alice, il n’y a que des « bons clients » ! Cela dit, Depardieu avait aussi de quoi m’intriguer pour une raison très personnelle. Je ne l’ai pas dit dans le film, mais nous qui avons exactement le même âge – première coïncidence –, nous nous sommes en plus allongés tous les deux sur le divan du même psychanalyste, Claude Conté. J’y suis resté beaucoup plus longtemps que lui, mais Depardieu, c’était donc un peu mon frère de divan !

 

Aviez-vous des « a priori » sur le « personnage », et qu’avez-vous découvert en enquêtant pour le film ?
J’ai découvert à quel point il n’avait pas changé. À quel point il était resté le même que Pétarou (son surnom d’enfant), soixante ans plus tard et quelque deux cents films après. Tout le monde, bien sûr, persévère plus ou moins dans son être, mais comme lui, c’est rare. Les rencontres, la réussite, la notoriété, l’argent, l’amour, la paternité : il n’a rien vécu à la légère, et pourtant, tout semble avoir glissé sur lui comme l’eau sur les plumes d’un canard. Notre film le montre : de Châteauroux, sa ville natale, jusqu’à Saransk, où, à 700 kilomètres à l’est de Moscou, il a élu domicile, il n’y a qu’un pas.

 

Diriez-vous de lui qu’il est un acteur-né ?
C’est ce que dit Michel Pilorgé, son ami d’adolescence qui est interviewé dans le film, et je le crois. « À peine bougeait-il, raconte Pilorgé, qu’il exprimait tout, avec une force, avec une conviction incroyables. Il était un acteur naturel même sans parler. » Car c’est ça le plus étonnant : Depardieu, jusqu’à l’âge de 20 ans, parlait très peu ou très mal. Il a commencé à faire du théâtre avec le risque de rester jusqu’à la fin de ses jours un muet du sérail, ce qu’avait été son père. Ce n’est pas sans raison que lui-même affirme que le théâtre et le cinéma l’ont sauvé du « néant ».

 

Avez-vous cherché à le rencontrer ?
En vérité, me suffisait ce qu’il avait déjà raconté dans ses interviews ou ses autobiographies, et je ne pensais pas obtenir de lui je ne sais quelle révélation me permettant d’aller « plus loin ». Mais le jour même où j’ai signé pour ce film avec France 3, j’ai cherché à le joindre pour lui expliquer simplement le projet qu’Anaïs Feuillette et moi avions, puisque de ce projet il était la matière première. C’est le même message que j’avais envoyé à Dominique Strauss-Kahn et à Jérôme Cahuzac avant de commencer la réalisation des deux documentaires dont ils étaient les héros. Et bien, comme eux, et pour des raisons qui lui appartiennent, il n’a pas souhaité me rencontrer. Dont acte.

 

Si vous n’aviez qu’un seul mot ou adjectif pour le définir ? Quel est votre diagnostic, docteur ?
Ne me demandez pas un diagnostic : je n’en fais pas quand je suis psychanalyste, pas davantage quand je réalise des films ! Ce que je pense, je le dis dans mon commentaire : on ne comprend rien à Gérard Depardieu si l’on ne comprend pas d’où vient son incroyable sans-gêne, son absence totale de culpabilité, si l’on ne comprend pas qu’il ne s’est jamais rien reproché parce qu’il ne s’est jamais rien interdit. Depardieu est resté l’enfant à qui son père n’avait jamais dit non, à qui sa mère avait toujours laissé la porte ouverte. Depardieu, c’est l’homme sans inhibition, et c’est pourquoi, lui qui n’avait été programmé par ses parents pour rien, s’est retrouvé au cinéma disponible pour tout.

 

La clé pour percer le mystère de ce sacré personnage serait le rapport au père, qui a guidé sa vie ?
Oui, tout en répétant n’avoir jamais souffert des défaillances de son père réel, il n’a pas cessé — et jusqu’à aujourd’hui — de se chercher des pères symboliques. Ces derniers temps, c’était Poutine ! Personnellement, je préférais quand c’était Mitterrand, Pialat ou Jean Carmet.

 

 

Propos recueillis par Stéphanie Thonnet

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