On l'appelait Ruby

« Monsieur le Président, je voulais remercier, pour son implication dans cette affaire, Madame Claire Monnier. »

Ces mots, cyniques et glaçants, sont les derniers d’un condamné. Sur le banc des accusés, Lucas Marty vient en effet d’écoper d’une peine de sept ans de prison pour le viol d’une adolescente, sans toutefois avoir été reconnu coupable du meurtre - dont il était fortement suspecté - de deux autres jeunes femmes. Dans l’assistance, Claire Monnier blêmit. Quel rôle a-t-elle joué dans cette inculpation ? On le découvrira plus tard… En attendant, le ton, lui, est d’emblée donné. La jeune femme devra désormais apprendre à vivre sous le joug d’une menace aux allures de vengeance.

Et c’est neuf ans plus tard, à Hasparren, une petite ville tranquille du Pays basque, que l’on retrouve Claire. C’est ici qu’elle a choisi de s’installer avec ses deux ados, Margot et Baptiste. Depuis deux ans, la famille déménage tous les six mois pour fuir Marty, désormais libéré. Et quand le corps d’une adolescente, Faustine, est retrouvé par la gendarmerie, Claire semble bel et bien rattrapée par ses fantômes du passé... Au sein de la communauté, c’est le choc. Qui a pu commettre ce crime atroce ? C'est dans ce huis clos à ciel ouvert que s’ouvre l’enquête. Marty, sorti de prison, a-t-il retrouvé la trace de Claire ? Le meurtrier ne fait-il pas partie, au contraire, de l’entourage de Faustine ?
Pour tenter de débusquer le criminel, le commissaire Ceylan (Michel Vuillermoz) débarque à Hasparren et tente de démêler les fils d’un véritable sac de nœuds affectif. Amours et rivalités adolescentes, mal-être des enfants, souffrance des parents, relations troubles et cachées, coups bas en pagaille …  La communauté revêt de nombreux secrets.

Duo de femmes
Après Le Bal des actrices de Maïwen, On l’appelait Ruby signe les retrouvailles de Mélanie Doutey et de Karole Rocher. Ensemble, elles incarnent un magnifique duo de femmes. L’une est l’« étrangère », mère de famille célibataire, fraîchement arrivée dans la ville ; l’autre, gendarme, évolue au cœur même de cette communauté depuis des années. Mais très vite, on comprend qu’un lien secret unit les deux femmes.
Des Fleurs du mal de Claude Chabrol à La French de Cédric Jimenez, en passant par la comédie sentimentale On va s’aimer d’Ivan Calbérac et Il ne faut jurer de rien (où la comédienne joue aux côtés de Gérard Jugnot et Jean Dujardin), Mélanie Doutey semble à l’aise dans bien des registres. Tout en tension et gravité, elle endosse cette fois le rôle d’une femme fermée et angoissée, bien loin de la pétillante Clara Sheller qu'elle a incarnée en 2005.
Karole Rocher complète, quant à elle, une filmographie déjà bien remplie (Braquo, Polisse de Maïwenn, Les Neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian, Les Yeux de sa mère de Thierry Klifa, Confessions d’un enfant du siècle de Sylvie Verheyde, Les Yeux jaunes des crocodiles de Cécile Telerman…). Avec le rôle de Pauline, la comédienne trouve ici un personnage nuancé, celui d’une femme forte, ébranlée par ce crime, et bien plus fragile qu’il n’y paraît.

Entre drame et polar 
Derrière la caméra, Laurent Tuel (Jean-Philippe, Un jeu d’enfants, La Grande Boucle) signe un vrai film policier d’atmosphère. Et on reconnaît bien là la patte du metteur en scène qui aime injecter de l’étrange dans le quotidien. Ici, la tension est permanente, y compris dans des scènes a priori anodines qui revêtent soudainement un caractère inquiétant. Un regard dans le miroir, un bruit de tuyauterie, un évier bouché … Et c’est l’angoisse assurée !
À la fois brut et intimiste, Laurent Tuel parvient à dresser le portrait sans concession d’une communauté où ses habitants, enfants ou adultes, cachent bien des vérités. Et quand l’intrigue policière se frotte aux drames personnels, le voile des apparences finit par se déchirer. Dans la douleur.

Céline Boidin-Lounis