THE ACT OF KILLING

25 nuances de doc – The Act of Killing (L'Acte de tuer)

Version intégrale inédite à la télévision
Documentaire - Inédit - Mardi 30 janvier 2018 à 00.20

Assassins à la solde du régime militaire lors du massacre des « communistes » indonésiens en 1965 (un million de morts), ils ont accepté de témoigner pour le documentariste Joshua Oppenheimer. Devant sa caméra, ils rejouent certains de leurs crimes, dans un mélange de kitsch, de fierté, de grotesque et d'horreur. Un projet fleuve d'un millier d'heures ramenées à deux heures quarante. Un résultat magistral, surréaliste et glaçant.

« Beaucoup de gens sont morts là... mais pas de mort naturelle, raconte l’homme, sur la terrasse d’un immeuble. On les traînait. Mais il y avait trop de sang. Quand on nettoyait, l’odeur était insoutenable. Pour éviter le sang, j’avais inventé un système. » Démonstration. Un fil de fer dont l’une des extrémités est attachée à un poteau, l’autre à un bâton qu’on tient à la main. Entre les deux, le fil fait une boucle autour du cou d’un homme. Il suffit de tirer... « J’ai essayé d’oublier tout ça avec de la bonne musique, poursuit Anwar Congo. En dansant... en gardant la pêche... Un peu d’alcool, un peu de marijuana... » Il esquisse quelques pas de danse. « Cha cha cha... » Un comparse commente : « Voilà un homme heureux... »

Il faut imaginer un instant un monde où les bourreaux nazis auraient survécu et évoqueraient en riant leurs faits de gloire. Un monde où les génocidaires khmers rouges ou rwandais, toujours au pouvoir, rejoueraient leurs crimes devant une caméra, sans vergogne, comme la chose la plus naturelle qui soit. Un cauchemar. Cela existe, pourtant. En Indonésie. En 1965, une junte militaire, dont le général Soeharto a pris la tête, annonce avoir déjoué une tentative de coup d’État. Le Parti communiste indonésien (PKI), qui a pourtant longtemps soutenu la politique nationaliste et anti-impérialiste du président Soekarno, est accusé. En quelques mois, une répression féroce secoue le pays. Entre 500 000 et un million (peut-être davantage encore) de « communistes » (syndicalistes, opposants, paysans sans terre, Chinois...) sont massacrés par l’armée, des groupes paramilitaires et des gangsters (preman). Si les familles de victimes, longtemps traitées comme des pestiférées, préfèrent aujourd’hui se réfugier dans le silence, c’est que les tueurs d’hier sont toujours aux affaires, amis, complices, porte-flingues ou clients d’un régime qui a su s’assouplir sans rien renier de son passé (le crime de masse), de ses méthodes (la violence et la corruption) et de ses principes (notamment l’impunité).

the act of killing afficheAu début des années 2000, le jeune documentariste américain Joshua Oppenheimer enquête sur des communautés de travailleurs agricoles de l’île de Sumatra-Nord qui tentent de créer un syndicat (dans un pays où la liberté syndicale vient tout juste d’être tolérée). Il s’intéresse au massacre de 1965. Confronté au mutisme des victimes et de leurs familles, qui vivent toujours dans la peur, il a l’idée de se tourner vers les bourreaux, qu’il n’a guère de peine à convaincre de témoigner – et même de filmer – des reconstitutions de leur sinistre besogne. Pour ces anciens voyous abreuvés de cinéma populaire américain, de westerns et de comédies musicales, le projet semble même plutôt excitant. « Pour eux, explique le réalisateur, les actes qu’ils avaient commis n’avaient rien de répréhensible et méritaient plutôt d’être célébrés. Ils n’avaient donc rien à cacher. C’est précisément ce symptôme révélateur d’une terrible maladie morale et sociale que le film tente d’examiner. »
C’est la première surprise – glaçante – de The Act of Killing. L’absence de remords, de honte, de gêne à l’évocation d’actes qui relèvent du crime contre l’humanité. Mais c’est que la culture du crime organisé et de l’impunité imprègne la société indonésienne, depuis la fascination pour les figures classiques des films de gangsters américains jusqu’au rassemblement des Jeunesses Pancasila, l’un des principaux groupes paramilitaires du pays, qui pratique notamment l’extorsion de fonds auprès des commerçants chinois terrifiés. En passant par un gouverneur qui avoue avoir les meilleurs rapports du monde avec les « bandits » (« Quand on sait s’y prendre, il n’y a qu’à les commander ») ou le vice-président de l’Indonésie lui-même, Jusuf Kalla, faisant s’esclaffer une salle : « Preman (gangster) vient de l’anglais freeman. Nous avons besoin d’hommes libres et efficaces pour que les choses avancent, des hommes prêts à prendre des risques dans les affaires. Faites travailler vos muscles. Les muscles ne servent pas à tabasser les gens... même si, parfois, il faut bien les tabasser un peu ! »
La seconde surprise – déstabilisante – est le cœur même du projet d’Oppenheimer. On attendait des monstres, voilà des humains… et c’est sans doute pire encore. Au centre du dispositif, Anwar Congo, vieux voyou dandy obsédé par la blancheur de ses (fausses) dents, amateur de chapeaux, de lunettes noires et de films d’Al Pacino et de John Wayne, et ses amis Herman Koto, brute ventrue qui tente maladroitement de se lancer dans la politique, et Adil Zulkadry, cynique et raisonneur (« Ce sont les gagnants qui définissent les crimes de guerre »). On aurait été rassuré de les haïr franchement. On les découvre tour à tour abjects, naïfs, drôles, touchants, jouisseurs, stupides, contradictoires, ambigus, cherchant à se rassurer sur leurs actes ou au contraire imperméables à toute remise en question. Congo est le plus impénétrable de tous, capable de parler sans frémir de la façon dont il assassinait « dans l’allégresse » et de s’apitoyer sur un caneton, répétant au gamin qui l’a blessé : « Dis-lui “Pardon, petit canard, j’ai eu peur, alors je t’ai frappé, c’était un accident” ». Quand il cesse de cabotiner, ses yeux se perdent parfois dans le vague et il finit par parler de ses cauchemars. « Si je dors mal, c’est peut-être que quand j’étranglais les gens avec un fil de fer, je les regardais mourir. Quand je m’endors, ça me revient. » Il évoquera même cet homme décapité à la machette, cette tête qui le hante, dont il n’a pas refermé les yeux… Dans ces moments, ces assassins nous apparaissent comme des âmes damnées, condamnées à rejouer à l’infini (mais pour qui, au fond ?) leurs atrocités sur le mode de la farce absurde, condamnés à ressentir à jamais des émotions qu’ils sont incapables de comprendre.


Christophe Kechroud-Gibassier

Réalisé par Joshua Oppenheimer
Scénario : Joshua Oppenheimer, Christine Cynn et Joram Ten
Musique : Elin Øyen Vister
Produit par Final Cut for Real

Sélectionné dans tous les festivals documentaires du monde, récompensé par plus de 25 prix, The Act of Killing est sorti au cinéma en 2013. Il est diffusé dans « 25 nuances de doc » dans sa version intégrale inédite à la télévision.

Contact presse

Ludovic Hurel
Contact - France Télévisions
Pictogramme francetvpro
Pictogramme Phototélé
Pictogramme France.tv Preview
Pictogramme Instagram france 2