UN JOUR, UNE HISTOIRE
Soirée spéciale Jacques Brel : Un jour, une histoire et L'Emmerdeur

Jacques Brel, une vie à mille temps

Magazine - Inédit - Mardi 15 mars à 20.55

Auteur, compositeur, interprète, comédien, réalisateur, pilote d’avion, navigateur... Entouré de ses filles, de ses amis, de ses musiciens, de ses biographes, Laurent Delahousse raconte les vies de Jacques Brel, mort en octobre 1978 à 49 ans.

Brel, c’est d’abord le chanteur. Ceux qui l’ont vu sur scène ne sont toujours pas près de l’oublier. Un grand corps trop maigre en costume noir, agitant sans relâche des bras trop longs, perdant des litres d’eau ; une bouche, toutes dents dehors, projetant ses chansons jusqu’au fond de la salle. Un chanteur et un athlète de music-hall : 10 mois et demi de tournée, plus de 300 galas et 100 000 kilomètres certaines années. Après les concerts, des nuits entières à boire et à faire la fête avec les copains et les musiciens, dans les bars, les restaurants, les boîtes à entraîneuses, avant de reprendre la route au petit matin. Brel, c’est le moins qu’on puisse dire – et inutile d’évoquer la prescience d’une existence écourtée par la maladie –, n’était pas fait pour la vie sédentaire, le quotidien, le confort bourgeois, l’ennui.
Son enfance, il la décrira morose et solitaire. Famille bourgeoise, milieu flamand, francophone et catholique. Ses parents sont âgés, son père presque un vieillard. À l’adolescence, il s’échappe en écrivant des nouvelles, en écoutant les souvenirs de son père, qui a vécu 19 ans au Congo belge, en montant des spectacles de music-hall dans le cadre de la Franche Garde, un mouvement de jeunesse catholique. À 21 ans, le voilà déjà marié à Thérèse Michielsen, dite Miche, et responsable commercial de la cartonnerie familiale, Vanneste & Brel. Sur les photographies, il porte des moustaches fines de petit monsieur comme il faut.
L’ennui le guette. Alors, il écrit et il chante des chansons. C’est encore boy-scout, un peu moralisateur, mais une maquette 78 tours attire en 1953 l’attention de Jacques Canetti, à Paris. Directeur artistique chez Philips, propriétaire des Trois Baudets, celui-ci est un découvreur de talents. Il croit en Brel. Ce qui demande encore un certain courage. L’accueil n’est pas bon. Un premier disque de neuf chansons est un échec qui attire au chanteur des critiques cruelles. France Soir : « Jacques Brel est belge. Nous lui rappellerons qu’il existe des trains. Pour Bruxelles. » Ce sont des années de cachets modestes, d’hôtels miteux, d’auditions ratées. On le trouve triste, on le trouve moche. Il faut bien une bonne fée, enfin : par l’intermédiaire de Canetti, Brel rencontre Juliette Greco, qui l’écoute, émue et éberluée, et lui prend une chanson : Le Diable (ça va), qu’elle chantera sur scène et gravera sur disque. En 1956, Quand on n'a que l’amour ouvre finalement à Brel les portes du succès. Ce sera un immense succès, comme on sait. Et de courte durée, on l’oublie parfois. En 1966, Brel commence à évoquer son désir d’arrêter la scène. La crainte de la facilité, de la répétition, du train-train, la peur de l’ennui, encore... Face aux journalistes qui lui parlent de démission, d’abandon du public, il tient bon : il n’appartient à personne, il veut mener sa vie comme il l’entend. Cela ne se limite pas à sa vie professionnelle, du reste. Miche et lui forment un couple atypique. Brel a une épouse et trois filles à Bruxelles, une autre vie, d’autres amours ailleurs.
Le 16 mai 1967, le chanteur achève à Roubaix son dernier tour de chant en pleine gloire. Il a 38 ans. Il y aura ensuite l’adaptation de la comédie musicale L’Homme de la Mancha mais, en 1969, c’en est définitivement fini de la scène. Le rideau est tombé, et Brel est déjà ailleurs. Au cinéma où, depuis 1967, il a entamé une carrière d’acteur. En Suisse, où il prend des cours d’aviation pour devenir pilote professionnel. Au cinéma encore, où il réalise un vieux rêve en passant à la réalisation. Mais deux tentatives (Franz et Le Far-West) et deux échecs consécutifs cuisants vont le dissuader de persévérer. En 1973, L’Emmerdeur, réalisé par Édouard Molinaro, est sa dernière apparition au cinéma, aux côtés de son ami Lino Ventura (rencontré sur le tournage de L’aventure, c’est l’aventure, de Claude Lelouch). Il est temps de tourner cette page-là aussi et de passer à autre chose.
En 1974, Brel poursuit un nouveau rêve, naviguer, et vit un nouvel amour, Maddly Bamy. Le tour du monde, on le sait, tournera court. Aux Canaries, le chanteur fait un malaise. Rapatrié en France, il apprend le diagnostic : cancer. Opéré du poumon en Belgique, il ne pense bientôt qu’à repartir et à reprendre la mer. Pour les Antilles, d’abord, pour les Marquises, ensuite, où il s’installe en 1976 à Hiva Oa. Il a trouvé un bout du monde où on ne l’emmerdera pas, où il est à peu près inconnu, où il peut reprendre le pilotage, transporter dans son avion le courrier, les malades et les femmes enceintes jusqu’à Tahiti, organiser des projections de cinéma pour les Marquisiens, écrire un nouvel album, le premier depuis dix ans, se foutre de la promotion... Les Marquises sera son testament. « Gémir n’est pas de mise », chante-t-il. Brel meurt le 9 octobre 1978. Quatre ans plus tôt, il avait dit : « Finalement, la vie, ça ne sert à rien mais qu’est-ce que c’est passionnant... »

Christophe Kechroud-Gibassier

On connaît sa silhouette, ses grands bras, ce visage déjà marqué, celui d’un homme du Nord venu faire carrière à Paris. À ses débuts, il a dû tout supporter, les auditions ratées, les remarques désagréables sur son physique et les conditions de vie précaires. Il s’est accroché et est devenu une grande vedette de la chanson avec cette voix, ce phrasé, ces mots, les siens, qui racontaient la vie, l’amour et l’absurdité de nos chagrins tout en les sublimant. En fait, Jacques Brel n’a jamais accepté l’idée du compromis. Il n’a jamais voulu se soumettre à l’ennui, à la bourgeoisie de son enfance, à l’idée du couple, ni même au pouvoir de l’argent. Pour quelles raisons a-t-il décidé d’arrêter la scène subitement, en pleine gloire ? Dans quelles conditions est-il parti faire le tour du monde en bateau ? Quelle était réellement sa vie aux Marquises ?
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Proposé et présenté par Laurent Delahousse. Réalisé par Élodie Mialet.

 

Cela commence comme un polar à la Jean-Patrick Manchette. Un certain Milan (Lino Ventura... né à Parme, quant à lui), tueur à gages de son état, est chargé d’éliminer un témoin gênant qui doit être entendu lors d’un procès pour corruption. Pour ce faire, il s’installe dans une chambre d’hôtel faisant face au palais de justice de Montpellier. Milan est un professionnel froid et méthodique, qui aime travailler dans le calme. Mais ce n’est décidément pas son jour. Le hasard va lui faire croiser le chemin de François Pignon (Jacques Brel), représentant en chemises et caleçons, qui a décidé de se suicider (sa femme l’a plaqué) dans la chambre à côté et qui va se révéler un incommensurable cornichon bavard, pleurnichard et surtout effroyablement crampon. Le polar vire au vaudeville et au duo de haut vol entre un Lino Ventura impassible et fumasse et un Jacques Brel en roue libre. « On a tous besoin d’un ami », affirme Pignon. Pas de chance quand c’est un boulet. Milan n’avait besoin ni de l’un ni de l’autre...
Dans la réalité, L’Emmerdeur, est tout de même une affaire d’amis, comme le confiait à Ouest-France, quelques mois avant sa mort, en décembre 2013, son réalisateur Édouard Molinaro. Lino Ventura et lui sont liés depuis Un témoin dans la ville (1959), Jacques Brel et lui depuis Mon oncle Benjamin (1969). Ventura et Brel sont amis depuis leur rencontre sur le tournage de L’aventure, c’est l’aventure de Claude Lelouch (1972). Quand Les Films Ariane (maison de production créée par Alexandre Mnouchkine, père d’Ariane) achète les droits de la pièce de Francis Veber, Le Contrat, et propose les rôles principaux aux deux compères, ceux-ci soufflent le nom de Molinaro pour la réalisation. Le tournage sera idyllique. Pourtant, Brel, pas plus que Ventura, n’est très à l’aise dans le registre comique. « Il m’a dit : “Tu sais, je ne suis pas un acteur de vaudeville.” Je lui ai répondu : “On ne te demande pas de jouer un vaudeville. Tu as écrit des chansons qui s’appellent Mathilde ou Madeleine et qui sont les histoires d’un pauvre type amoureux, dont la fiancée ou la femme ne veut pas. Eh bien, tu n’as qu’à jouer ça, c’est la même chose ! »*

C.K.G.

* Ouest-France, 12 août 2013.

EMMERDEUR (L')

Échappant miraculeusement à un attentat, Louis Randoni comprend qu'on veut l'empêcher, à tout prix, de témoigner dans une série de procès. Cet attentat manqué provoque l'arrivée et l'installation à l'hôtel du « Palais » de Ralph, un tueur professionnel chargé de l'abattre. Mais ses préparatifs sont perturbés par Pignon, son voisin de chambre, représentant en chemises, qui, abandonné par sa femme, tente de se suicider.
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Réalisé par Édouard Molinaro. Scénario de Francis Veber et d'Édouard Molinaro. D'après la pièce de théâtre Le Contrat, de Francis Veber. Musique de Jacques Brel et de François Gauber.
Avec Jacques Brel (Pignon) et Lino Ventura (Ralph).
 

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