EXPULSIONS LA HONTE
Infrarouge

Expulsions, la honte

Documentaire - Inédit - Mardi 22 mars 2016 à 23.10

Alors que prend fin la trêve hivernale, Infrarouge donne la parole à dix expulsés. Retraités, chômeurs ou encore entrepreneurs, ils racontent leur quotidien. Condamnés par la justice, ils sont avant tout les victimes d’un système en crise. Un documentaire choc.

« Sans logement, on n’existe plus », dit l’un. « L’expulsion, c’est une condamnation à mort », dit l’autre. Ils sont dix à témoigner. En CDI, retraités, chômeurs ou entrepreneurs : bien loin de l’image du déclassé, du marginal, du squatter. « Je suis une SDF de luxe », analyse, amère, une mère célibataire. Dix personnes expulsées, ou menacées de l’être, qui prennent la parole, rompent le silence dans lequel la spirale de l’endettement les a enfermés. Un à un, ils disent l’humiliation, la solitude et la honte. Ils racontent les ordonnances du juge, les factures qui s’accumulent, la cohorte des recours qui n’aboutissent pas, les listes d’attente. Puis, un matin, la porte enfoncée par les huissiers assistés des forces de l’ordre. Les déménageurs emballent toute une vie dans des cartons, bientôt relégués dans un garde-meuble, avant qu’un serrurier ne se charge de remplacer la porte. Ensuite, c’est la rue, les nuits dans la voiture, parfois les hôtels, les foyers d’hébergement social, ou l’accueil par la famille et les amis. Une vie précaire, provisoire. En France, chaque année, 130 000 foyers sont ainsi condamnés à l’expulsion. Condamnés par la justice, certes, mais pourtant victimes : « de la crise financière de 2008, du chômage, de la spéculation immobilière (les loyers ont augmenté de 30 % en dix ans) et du manque de logements disponibles et accessibles », explique la réalisatrice Karine Dusfour. En centrant son documentaire sur ces paroles d’expulsés, sur leur parcours de vie et leurs combats quotidiens, l’auteur du remarqué Viol, double peine (diffusé en novembre 2012 sur France 5) renverse l’accusation et fait changer la honte de camp. Ce n’est plus à eux, ces nouveaux précaires nés d’un système en crise, de vivre dans le déshonneur, mais à nous tous – cette société qui permet, autorise, favorise et pourtant occulte une telle précarité – de nous sentir coupables et responsables. Dans le décor unique d’une maison à l’abandon, Karine Dusfour dévoile les visages, les gestes, les silences. Tout d’empathie et de respect, son regard rend à celles et ceux qu’elle filme la dignité que la société leur a retirée. Le système, lui, ne se donnera pas à voir, juste à entendre et à ressentir. En longs travellings sur des façades d’immeubles impersonnelles, le documentaire égrène une succession de chiffres implacables tandis que des assignations d’huissiers envahissent la bande-son. La France, sixième puissance mondiale, met chaque jour à la rue 60 ménages. Une expulsion sur deux concerne une famille avec enfant mineur. 5 900 familles expulsées sont en attente du relogement prévu, dans un délai de six mois, par la loi Dalo (Droit au logement opposable) de 2007. Une ville sur trois ne respecte pas le quota légal de 20 % de logement social. Soixante ans après, le célèbre appel de l’abbé Pierre par lequel la réalisatrice conclut son film n’a jamais paru autant d’actualité : « Une femme vient de mourir gelée, cette nuit, à 3 heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée... »

Cyrille Latour

EXPULSIONS LA HONTE

La parole est ici donnée à dix personnes expulsées de leur logement. Ils racontent dans quelles circonstances ils sont passés d'une vie normale et ordinaire à une vie d'errance. Dans la rue, dans leur voiture, d’hébergement en hébergement, ils vivent alors de façon provisoire et toujours plus précaire.
Tous issus de la classe moyenne, ils ont vécu une fracture, un accident de la vie : chômage, divorce, faillite, maladie, deuil… Autrefois, ils auraient pu le surmonter et s’en relever. Aujourd’hui, l’ampleur de la crise économique et la pression immobilière plongent ces ménages dans une misère à laquelle ils ne voient pas d'issue.
En leur donnant la parole, ce film dénonce une procédure de l’expulsion toujours plus administrative et humiliante pour les plus faibles, une spirale infernale qui se fracasse contre le manque de logements accessibles.
À travers ces témoignages, ce film dénonce aussi une politique du logement souvent erratique et inefficace : explosion des loyers, manque de construction, loi du droit au logement opposable (Dalo) non appliquée, accès au logement social totalement insuffisant, services sociaux dépassés…

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Un documentaire inédit écrit et réalisé par Karine Dusfour
Produit par Carlos Pinsky
Une production Morgane 
Avec la participation de France Télévisions et du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée
Unité de programmes documentaires : Fabrice Puchault, Barbara Hurel et Anne Roucan

 

Soixante ans après l’appel de l’Abbé Pierre, l’accès au logement redevient une urgence nationale en France. Il est temps que les pouvoirs publics, les élus locaux et la société toute entière prennent conscience des difficultés insurmontables qu’ont de plus en plus de Français à se loger. 

C’est parce que je filme depuis plus de dix ans le quotidien des familles que j’ai voulu faire ce film. C’est en ayant le privilège de pouvoir entrer dans leur intimité et de passer du temps avec eux que j’ai acquis cette conviction : on est la maison qu’on habite. Notre logement, c’est une partie de notre identité. Sans logement, plus de statut social, plus d’horizon, plus de sécurité.
Dès lors, l’expulsion locative est un processus de désocialisation puis de déshumanisation. Se maintenir dans son logement, quand on n’en a plus les moyens, se transforme en cauchemar éveillé. Une descente aux enfers qui n’a, en l'occurrence, plus rien d’une formule toute faite. « C'est la chute finale », m’a dit un jour, à la veille de son expulsion, une des personnes rencontrées lors de mon enquête.
La chute finale, c’est l’histoire que j'ai voulu raconter. Parce qu’elle est une peur partagée par plus de la moitié des Français. Parce qu'elle est une menace de plus en plus réelle pour les plus fragiles. Nous, les femmes isolées, les précaires, les fragiles, les intermittents, les non-rentiers, les sans-héritage, les sans-CDI à vie, les endettés, les ric-racs de fin de mois, les Français nés ailleurs, les sans-familles, les isolés, les retraités, les foyers monoparentaux…
Finir à la rue, cette angoisse est en train de devenir une réalité pour de plus en plus de citoyens, jusqu’ici à l’abri. Capables autrefois de se relever d’un accident de la vie, ils sont aujourd’hui bloqués dans des parcours d’errance, d’hébergements provisoires en centres saturés. La conjoncture économique et immobilière les empêche aujourd’hui de mettre un toit sur leur tête et celle de leur famille alors même qu’ils travaillent ou ont travaillé toute leur vie, alors même qu’ils payent des impôts, alors même qu’ils avaient toujours réussi à payer leur loyer…
Je n’ai pas voulu faire un film contre le droit de la propriété ou contre les propriétaires. Mais en enquêtant depuis plus d’un an sur la situation du logement en France, j’ai acquis une certitude : les expulsés ne sont pas des assistés, les expulsés ne sont pas des profiteurs. Ils sont condamnés par la justice. Pourtant, ils sont aussi des victimes : de la crise financière de 2008, du chômage, de la spéculation immobilière et du manque de logements disponibles et accessibles.
Ils sont les nouveaux précaires : entrepreneurs en faillite, foyers monoparentaux, retraités, chômeurs en fin de droits. Ils ne peuvent simplement plus faire face aux loyers, à l’absence de HLM et à l’absence de logements abordables. « Plus notre capacité à créer de la richesse s’est accrue, plus la pauvreté s’est radicalisée. La classe moyenne s’appauvrit et les inégalités sont devenues si fortes qu’elles se traduisent  par des expulsions de tous ordres. Notre système économique n’incorpore plus mais expulse. Les plus pauvres sont rejetés dans un autre espace. Leur condition est devenue si banale qu’on ne la voit plus. » - Saskia Sassen, sociologue, in Expulsions (2016)
À première vue, les métropoles affichent une certaine prospérité, c’est ce que racontent les bâtiments d’une ville. Mais derrière ces façades se joue le drame du loyer à payer : des familles en impayés, d’autres en début de procédure d’expulsion, d’autres encore chassées de chez elles… Une réalité sociologique de l’habitat qui dépasse l’entendement, à peine imaginable en 2016.
J’ai voulu faire cohabiter dans ce film une parole intime, une parole qui raconte la honte et la culpabilité. Pour faire émerger la véritable honte. Celle d’une France riche, 6e puissance mondiale, qui condamne à l'expulsion, chaque année, 130 000 ménages. 13 000 ménages sont de fait expulsés par la force publique. Les associations estiment qu’entre 50 000 et 60 000 ménages quittent leur logement avant le coup de sonnette fatal de l’huissier.
La fondation Abbé Pierre dénonce : « La prévention des expulsions a été abandonnée. Et le drame, c’est qu’il n’y a pas de solution de relogement, face à un manque de logements sociaux et un dispositif d’hébergement saturé qui laisse déjà de plus en plus de SDF dehors. La situation est dramatique. Il est urgent que chacun puisse se maintenir à tout prix dans son logement. Qui peut s’imaginer que mettre des gens à la rue constitue une mesure rationnelle de lutte contre la précarité ? Il coûte beaucoup plus cher à l’État de payer les frais d’hébergement en hôtels, les frais de justice et de police relatifs à l’expulsion, que de maintenir chez eux les personnes en situation d’impayés de loyer. Notre économie a largement les moyens d’éviter toutes les mises à la rue. »
C’est le cercle vicieux de la honte que ce film cherche à briser. Honte à la spéculation immobilière, honte aux maires refusant de construire du logement social, honte à l’État qui abandonne aux associations la prévention des expulsions. Libérer une parole tue pour dire à tous que même les vaincus ont droit au respect.
Les expulsions locatives en France, une diagonale du vide qui fracture la France en deux : ceux qui sont au chaud, bien à l’abri, et les autres, ceux qui ont tout perdu, ceux qui n’ont plus rien.

Karine Dusfour, réalisatrice d'Expulsions, la honte

EXPULSIONS LA HONTE

Paulo et Magali
« On a fait des erreurs », reconnaît d’emblée Paulo, ancien plombier qui a créé son entreprise. Laxisme des comptes et un comptable qui le trahit. Englouti par les charges RSI (Régime social des indépendants : la sécu des artisans, commerçants et industriels), Paulo ne peut plus payer le loyer du HLM qu’il habite avec Magali et leurs deux enfants. En 2 ans, leurs dépenses liées au loyer, est passé de 500 euros à  950 euros. Dossier de surendettement, crédit revolving, la spirale s’enclenche. Leur avis d’expulsion est prononcé en juin 2013. Magali, Paulo et leurs deux enfants sont aujourd’hui dans un centre d’hébergement : ils vivent à quatre dans moins de 30 m2.

Adèle
Adèle est menacée d’expulsion de son logement qu’elle occupe depuis plus de 20 ans. Sa retraite est dérisoire car elle a travaillé pendant 20 ans aux côtés de son mari boucher sans que cela soit comptabilisé, puis jusqu'à 67 ans comme agent hospitalier parce qu'elle savait que sa retraite allait être très faible. Elle commence juste à percevoir la pension de reversion de son mari décédé, une faible retraite qui n’augmente pas suffisamment ses ressources pour faire face à sa situation. Adèle a fait une demande de logement social depuis 2009 car elle prévoyait que sa retraite ne suffirait pas pour payer son loyer : elle n'a jamais eu de réponse.

Ana
Ana et ses deux enfants ont été expulsés pour la deuxième fois. Son statut, son salaire passé, ses indemnités chômage élevées pendant un temps l'ont privée d'aide sociale. Ana a été expulsée une première fois en octobre 2013. Ana en a été réduite à trouver un nouveau logement chez un marchand de sommeil. Sans bail, elle a à nouveau été expulsée sans avoir aucun recours. 
Elle est atteinte d’un cancer et est actuellement en chimiothérapie avec des                                                                         traitements lourds. Ana est  logée dans un foyer d’hébergement social, sans                                                                         chambre pour recevoir sa fille.

Armelle et Yves
Armelle est encore sous le choc de son expulsion. Elle avait prêté son appartement à son neveu le temps d’aller s’occuper de sa mère malade en Guadeloupe. Elle avait signalé ce changement provisoire à son bailleur social. Le loyer n’étant pas payé, le bailleur social a obtenu l’expulsion. Elle est à la rue alors qu’elle travaille en CDI comme archiviste. Ses ressources ne lui permettent de se mettre à l’abri à l’hôtel que quelques nuitées par mois.
Yves vivait dans son logement social depuis 15 ans. À la retraite, ses ressources ne lui permettent plus de payer entièrement le loyer. Le bailleur social engage une procédure d’expulsion. Parfaitement au courant des recours possibles, Yves tente toutes sortes de démarches. Mais le 18 mai, il est expulsé manu militari. Il est aujourd’hui à la rue.

Frédéric
Electricien, après avoir été salarié pendant des années, Frédéric devait prendre la succession de son patron. Le décès de celui-ci survenu trop vite, il monte sa propre entreprise sans expérience de gestion. Au bout de trois ans, quand les taxes patronales tombent au plus fort taux, il ne peut plus payer son loyer. S'ajoute le départ de sa compagne. Il plonge. Il se retrouve à la rue et dort sa voiture.

Valérie et sa fille Marissanne
Ancienne conseillère en formation pour Pôle emploi, Valérie a connu une véritable descente aux enfers. Victime de harcèlement au travail, elle quitte sa région du Nord suite à un burn-out. Après un accident du travail, elle est reconnue handicapée à 70 %. Licenciée alors qu’elle est en centre de réeducation, elle ne parvient plus à payer son loyer. Elle est obligée de quitter son logement avec sa fille adolescente avant que les huissiers ne viennent les                                                                     expulser. 

Sylviane
Elle vivait avec le père de son fils dans un deux-pièces loué à un bailleur privé. Après leur séparation en août 2011, le compagnon donne son préavis (le bail était à son nom). Sylviane perd son travail et elle ne peut plus payer son loyer. Le 2 décembre 2014, le juge ordonne l’expulsion. Elle n’a plus d’emploi, craint qu’on lui enlève son fils et ne sait pas où aller.

Zakaria
Zakaria travaille en CDI dans une usine de retraitement des déchets. Il vit avec sa famille dans un tout petit logement depuis 7 ans. L'appartement est insalubre. Après 8 mois sans eau chaude, Zakaria a décidé d'arrêter de payer le loyer. Une procédure d'expulsion est lancée. Ses multiples démarches pour obtenir un logement social, alors qu’il est reconnu prioritaire Dalo, n’ont jamais abouti. 

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