Les capitaines Faraday (Jean-Marc Barr) et Winckler (Bruno Solo) reviennent pour deux nouveaux épisodes inédits de Deux flics sur les docks. Dans le premier, un sniper fou fait peser sa menace sur Le Havre. Les explications de son scénariste, Olivier Prieur.
L’épisode Longue distance est adapté d’un roman de Graham Hurley issu, non pas des enquêtes de Faraday, mais d’une autre collection. Comment se pose la question de l’adaptation ?
Épisode après épisode, Deux flics sur les docks continue de creuser le terreau de Graham Hurley, mais, en tant que telles, toutes les enquêtes de Joe Faraday ne sont pas adaptables – ne serait-ce que parce que dans le onzième roman, Borrowed Light, le héros meurt ! Quels que soient nos choix scénaristiques, la série s’efforce – et, je crois, avec succès – de respecter l’âme des romans. Et quelle âme ! Avec le temps, connaissant de mieux en mieux les personnages et l’atmosphère générale, nous pouvons nous permettre de développer des sujets originaux, comme ça a été le cas pour l’épisode Chapelle ardente que j’ai écrit la saison précédente. Nous pouvons aussi choisir d’adapter, « à la manière de… », une autre collection signée Graham Hurley, celle de Jimmy Suttle, personnage périphérique des enquêtes de Faraday.
De fait, mettant Faraday et Winckler aux prises avec un sniper fou qui sévit dans les rues du Havre, l’épisode s’avère quelque peu différent…
Dès le départ, il était entendu que cet épisode aurait, dans sa construction même, quelque chose d’atypique puisqu’il s’agit d’une seule et non, comme à l’accoutumée, de deux enquêtes parallèles. Et puis, sans dévoiler l’intrigue, il était convenu que cette affaire rebondirait de manière assez forte sur l’un de nos personnages. Nous entamons là une évolution que nous souhaitons poursuivre par la suite : impliquer davantage nos héros dans les enquêtes qu’ils mènent, trouver des résonances avec leur propre vie ou avec leur passé. Bruno Solo et Jean-Marc Barr connaissent si bien leur personnage que l’on peut se permettre de pousser le curseur chaque fois un peu plus loin sans dénaturer la série.
Les romans de Graham Hurley se déroulent à Portsmouth, les épisodes de Deux flics… au Havre…
Deux villes portuaires très similaires, détruites par la guerre puis entièrement reconstruites – avec, dans le cas du Havre, cette particularité d’être l’œuvre d’un seul homme, Auguste Perret, l’architecte du béton brut. D’emblée, cette unité visuelle crée une certaine ambiance, qui imprègne une multitude de décors, du centre-ville à la plage, en passant par les docks ou, comme dans Longue distance, ces cités ouvrières qui évoquent les Corons du Nord. À l’époque où je finissais mes études à la Fémis, j’avais le projet d’un film qui se déroulait justement au Havre. J’avais passé plusieurs jours en repérage dans différents quartiers. Maintenant, je profite des tournages de Deux flics… pour rendre visite à l’équipe et sillonner la ville à la recherche de décors. J’en découvre à chaque fois de nouveaux – parfois grandioses voire grandiloquents comme le pont de Tancarville ou plus intimes comme des friches industrielles –, qui donnent à la série tout son sens et sa singularité. Le choix du Havre est l’idée du producteur Jacques Salles qui souhaitait, dès le départ, en faire un personnage à part entière de Deux flics…
Graham Hurley dit qu’il se dégage du Havre « la même impression d’une fin de voie » qu’à Portsmouth. Il ajoute : « Le train s’arrête au Havre. Il n’y a nulle part où aller… » (*)
Oui, mais je n’y vois pas tant l’idée d’un cul-de-sac que celle d’un « micro monde » resserré, comme échoué là, presque en vase clos, avec ce port immense comme unique horizon. Le Havre concentre diverses couches sociales que la série explore par petites touches. On en revient aux sources du polar : par-delà l’enquête, aborder des thématiques de société.
Toxicomanie, immigration, esclavage domestique, corruption… Le regard que porte la série est plutôt noir, non ?
Une certaine noirceur qui peut tout de même s’illuminer parfois… Ce fond social, ou disons sociétal, est un guide pour l’écriture. Il donne le ton de l’épisode, qui peut être sombre, certes, mais nous nous gardons de tout misérabilisme. Surtout, il s’agit davantage de donner à voir, comprendre, plutôt que de juger ou moraliser. À cet égard, Deux flics… a quelque chose de méditatif, de centré sur l’écoute. À partir du moment où l’on commence à exprimer son point de vue ou à donner des conseils, on n’écoute plus. La vraie écoute ne s’impose pas de réponse et encore moins de jugement moral.
Cette question de l’écoute, et même de la méditation, se retrouve dans la manière dont la série laisse s’installer des silences. Est-ce une contrainte pour un scénariste ?
Deux flics… intègre dès l’écriture l’idée que ce sont les silences qui parlent le plus. J’aime beaucoup cette façon de faire, qui suppose, pour un scénariste, d’aller un peu contre soi-même. Ce n’est pas de l’anti-scénario, mais il faut souvent se rappeler que, là, dans telle scène, la meilleure réplique est justement l’absence de réplique. Car dès lors que l’émotion est verbalisée, elle se dilue. Comme disait je ne sais plus qui : « montrez-moi quelqu’un qui pleure, je regarde quelqu’un qui pleure ; mais montrez-moi quelqu’un qui a envie de pleurer et je pleure. »
Les rapports entre Faraday et Winckler ont quelque peu évolué, depuis l’opposition assez frontale de la première saison jusqu’à la complicité beaucoup plus tacite des récents épisodes…
Là aussi, leurs plus grands échanges sont silencieux. Comme dans toute amitié un peu virile : « Je serai toujours là pour toi, mais je ne te le dirai jamais. » Au fil des épisodes, ce lien témoigne de la complicité qui se tisse aussi entre les acteurs d’un tournage à l’autre. Bruno Solo et Jean-Marc Barr se connaissent, s’apprécient et, maîtrisant leur personnage, diffusent quelque chose de plus en plus subtil dans leurs rapports.
Comment écrivez-vous pour Jean-Marc Barr et Bruno Solo ?
Je les connais bien. Je participe aux premières lectures avec eux et, éventuellement, ajuste telle ou telle réplique en fonction de ce qu’ils me suggèrent. J’aime aussi me rendre sur les tournages. L’équipe de Deux flics… a quelque chose d’une petite famille – plus proche de la troupe de théâtre que de la grosse production hollywoodienne. Bruno Solo et Jean-Marc Barr ont deux façons très différentes de s’exprimer. On ne pourrait pas mettre les dialogues de l’un dans la bouche de l’autre. Chacun a sa petite musique, dont je m’imprègne au moment de l’écriture. Tout ceci est assez intuitif mais, sans schématiser, disons que Bruno Solo a une façon très directe de parler, construisant ses phrases à l’instinct, tandis que Jean-Marc Barr est plus « littéraire » – peut-être parce que le français n’est pas sa seule langue maternelle. Le phrasé de Bruno est sur le rythme ; celui de Jean-Marc sur le mot.
Un mot sur Edwin Baily, réalisateur de la série depuis le premier épisode ?
Il est le garant de la série. Il a une « patte » qui, au même titre que le jeu des comédiens, les romans de Graham Hurley ou Le Havre, conditionne toute l’écriture de la série. D’abord, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup à titre personnel et avec lequel il est très agréable de travailler. Ensuite, sa réalisation correspond à quelque chose que j’aime en tant que spectateur : une forme d’élégance, de classicisme, qui refuse l’esbroufe ou la posture, pour distiller l’émotion en douceur.
Deux flics sur les docks connaît un succès constant depuis ses débuts. Comment l’analysez-vous ?
C’est le challenge et la grande question de Deux flics… : comment installer une série de 90 minutes en seulement deux épisodes par an ? Avec le recul, en analysant les audiences et la concurrence des autres chaînes qui, depuis cinq ans, est peu ou prou la même, on se rend compte que la série réunit un public fidèle, régulier et stable. Peut-être que je me trompe, mais je pense que ces téléspectateurs apprécient justement le classicisme de Deux flics… – tout ce que, des jeux sur les silences au regard sur la société actuelle, en passant par la mise en scène, nous venons d’évoquer. Il n’y a pas à rougir du classicisme, même s’il n’est pas valorisé comme étant à la mode. Et puis, sans vouloir apparaître prétentieux, dans « classicisme », il y a « classe »…
Il se dégage de la série une certaine mélancolie. Comment l’expliquez-vous, l’intégrez-vous ?
À bien y réfléchir – et en poussant un peu le bouchon, je l’admets –, voilà une série qui se passe dans une ville rasée, par définition construite sur ce qui n’est plus, et qui, dans sa forme, revendique son goût de l’atmosphère et des silences – autrement dit, une certaine tradition. Peut-être qu’au fond Deux flics… porte, en son sein, une mélancolie d’époque : comment réussir à être contemporain – et la série traite très concrètement de problématiques contemporaines – sans oublier d’où l’on vient ?
Propos recueillis par Cyrille Latour
(*) Voir France 2 Webdo #45 2011
Xavier Gallat, surfeur sans histoires, est retrouvé exécuté sur la plage, au volant de son véhicule. Selon les premières constatations, le tireur était situé à plusieurs centaines de mètres de là. Le tir, extrêmement précis, lui a transpercé la tête… Qu'est-ce qui a bien pu motiver un traitement si particulier ? Tandis que la panique s'empare peu à peu de la ville, Faraday et Winckler balayent toutes les pistes : si un sniper fou est en liberté, il faut à tout prix éviter qu'il recommence…
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Réalisé par Edwin Baily
Adaptation et dialogues : Olivier Prieur
d'après le roman Touching Distance de Graham Hurley
Une production GTV Productions (Zodiak Media)
Produit par Jacques Salles
Productrice exécutive : Muriel Paradis
Avec la participation de France 2
Conseillères de programmes France 2 : France Camus et Sophie Exbrayat
Directeur de la fiction France 2 : Thierry Sorel
Avec Jean-Marc Barr (Richard Faraday), Bruno Solo (Paul Winckler), Mata Gabin (Lucie Dardenne), Liza Manili (Julie Fabian), Emmanuel Salinger (Bazza Swaty), Guillaume Viry (Bill Gates), Jean-Marie Hall (Lulu), Julien Boulenguez (Jimmy), Michel Scotto Di Carlo (Michel)