Quelle est l’origine de l’histoire de Comme des rois, où un père enseigne à son fils les techniques de l’arnaque à domicile ?
J’adore qu’on me raconte des histoires, j’ai donc le profil du bon pigeon ! Je me suis souvent fait arnaquer et j’ai le souvenir d’une fois en particulier, à la gare Montparnasse, où j’avais fini par lâcher 20 euros à un type alors que je me doutais bien qu’il baratinait et que je m’étais montré méfiant... Une heure après, j’ai repensé à toutes les ressources qu’il avait dû déployer et je me suis dit que, finalement, il l’avait durement gagné, ce billet de 20€ ! Et puis j’ai imaginé son retour chez lui, le soir, sa discussion avec sa femme sur leurs journées de travail respectives… C’est comme ça qu’a surgi la figure d’un artisan de l’arnaque, qui aime le travail bien fait, qui a le goût du métier, une petite routine. De fil en aiguille, je me suis dit que l’artisan devait penser à la transmission de son savoir-faire. Dans un monde qui change, en plus, un monde où les gens n’ouvrent plus trop leur porte, un monde où les pigeons se trouvent plus facilement sur Internet… De là part tout le scénario : l’histoire de Joseph, un arnaqueur qui a son âge d’or derrière lui, et de Micka, son jeune fils qui rêve de devenir acteur...
Pourquoi un fils ?
Peut-être parce que la paternité m’était tombée dessus ! C’est une question qu’on se pose forcément quand on a des enfants : et si je les aimais mal alors que je veux leur faire du bien ? Et si je les encombrais, et si je les empêchais de s’épanouir malgré toutes mes bonnes intentions ? J’aime bien travailler sur des relations où le drame menace sans qu’on y prenne garde. Tout l’enjeu de cette histoire, c’est la libération d’un fils face à un père aimant mais toxique. Comme des rois, c’est l’histoire d’un regard, le regard d’un père sur son fils, qui doit changer pour que le fils puisse commencer à vivre enfin. Et pour que leur relation, peut-être, se construise autrement.
Vous cultivez tout de même un goût pour les cas difficiles, sinon les losers...
Oui, je l’admets : j’aime beaucoup les bras cassés... Mais je crois qu’au fond de nous on se perçoit comme des losers : nous vivons tous en deçà de nos espérances, non ? Et puis il y a toujours eu pour moi une beauté du loser. Ses défaites, ce sont autant de refus de rentrer dans le rang. Chez Joseph il y a de ça : je le vois comme une sorte de Billy the Kid, celui de Peckinpah, transposé dans la France d’aujourd’hui. Il essaie vaguement de se normaliser, de trouver lui aussi un emploi précaire et mal payé. Mais il en est incapable et il n’en a pas envie, parce qu’il sait qu’il ne sera jamais qu’un prince de l’arnaque, qu’en dehors de ça il n’existe plus. C’est beau, aussi, les gens qui ne changent pas. Qui ne se résignent pas.
Comment s’est passée la rencontre avec Kad Merad ?
Un soir, je suis tombé sur BARON NOIR et j’ai eu une illumination : Joseph, c’était Kad Merad ! Je reconnais que jusque-là, je n’avais pas su le regarder. J’ai découvert ce soir-là qu’il avait une capacité magnifique à sauver tous les personnages qu’il joue, par un simple effet de présence. Il a l’air accessible et chaleureux, on prendrait bien un verre avec lui : le profil parfait de l’arnaqueur de proximité ! Il a lu le scénario et accepté le rôle en 24 heures. Il y avait aussi cette circonstance heureuse : Kad a lui-même, dans sa jeunesse, fait de la vente au porte-à-porte, et il sait que ça flirte très souvent avec l’arnaque. Il a grandi en banlieue mais pas dans des quartiers difficiles, plutôt dans ces zones pavillonnaires que j’ai voulu explorer dans le film, cette France périphérique où on s’ennuie un peu. Aujourd’hui, en France, peu de comédiens peuvent évoluer comme lui dans un registre aussi large, qui va de la comédie à l’émotion la plus fine. Kad a acquis au fil du temps une densité humaine qui lui donne la capacité de tout jouer, sans fabriquer. On a tourné dans des conditions vraiment difficiles, par grand froid. Parfois, il devait se changer dans sa propre voiture sur un parking d’hypermarché. Mais il avait décidé de faire ce film, de se mettre entièrement à la disposition du projet et il a fait preuve du début à la fin d’un enthousiasme de débutant !
Le personnage de Micka semble écrit pour Kacey Mottet Klein.
Il me fallait absolument un acteur de 18 ans, parce que ce qui se joue sur un visage à cet âge-là est très différent de ce qu’on peut y lire à 22... Ce qui m’intéresse, c’est l’âge mutant entre l’enfance et le monde adulte, l’entre-deux où l’on commence à rêver d’une autre vie mais sans oser l’affirmer haut et fort. Il y a, en même temps qu’une sensibilité à fleur de peau, quelque chose de très brut chez Kacey, et parfois d’impossible à contenir, mais c’est cette dualité qui m’intéressait pour le rôle. Je voulais un jeune acteur qui déborde, qui résiste, comme le personnage qu’il joue. Dans le scénario, Micka était plus flottant. Kacey l’a vraiment enrichi en lui apportant sa rébellion et son énergie, ce truc magnétique, très rare, que Sylvie Testud possède aussi. Elle, c’est pareil, elle enrichit le rôle en interrogeant chaque réplique, mais toujours de manière constructive, par goût pour la recherche sur le plateau. La taille du rôle, elle s’en moquait. Elle nous a rejoint parce qu’elle aimait l’écriture, l’humour dans la gravité, et que le rôle lui permettait d’être ailleurs qu’à l’endroit où on l’a vue ces dernières années. Et une fois qu’elle est là, elle est là totalement, c’est très impressionnant d’intensité et de justesse.
Comme des rois traverse des paysages très différents, la cité, les quartiers pavillonnaires, les zones industrielles, les jardins ouvriers, tout un panorama de la France d’aujourd’hui…
Dès l’écriture, c’était évident que ce duo d’arnaqueurs avait vocation à être partout et nulle part, toujours en mouvement, comme dans une fuite en avant alors que menace le couperet de l’expulsion. Il leur faut trouver de l’argent dans un pays en crise, ça impose cette mobilité au récit lui-même et ça a déterminé très vite une écriture visuelle, très directe, toujours caméra à l’épaule, dans le sillage des personnages. Mais j’ai eu aussi envie de composer discrètement une « traversée de la France » qui correspond à l’âge des possibles qu’incarne Micka. Sa force et sa beauté, c’est d’être malléable et mobile, inachevé mais pas figé. Il parcourt des espaces différents, il entre dans la délinquance et se construit dans un jardin une vie de Robinson, il observe la vie des autres depuis le toit de son immeuble et il s’invite en professeur de guitare dans une maison bourgeoise. Tout semble fermé mais tout reste ouvert : c’est parce que Micka ne cesse de croire à l’existence d’un ailleurs, à la possibilité d’une autre vie, qu’il parviendra à s’arracher à son père.